Au terme d'un déploiement à l'étranger, comme l'Afghanistan, plusieurs armées, dont celle de la France, offrent aux soldats des séjours de repos dans des lieux de villégiature, question de décompresser de la guerre.

À première vue, votre film est à mille lieues du précédent, 17 filles. Pourtant, il y a des correspondances telles la condition féminine, la vie difficile à Lorient, des soirées en bord de mer. En plus, l'histoire est à nouveau racontée à travers un groupe. Continuité ou rupture ?

« Certaines correspondances sont voulues ; d'autres nous ont prises par surprise, répond Delphine. Par exemple, Lorient est une correspondance voulue. Nous venons toutes les deux de cette petite ville de province où il n'y pas 36 solutions pour s'inventer une vie. On peut faire des bébés, comme dans 17 filles, s'engager dans l'armée ou faire du cinéma. Par contre, nous ne voulions pas refaire un film avec 17 personnages. Dans Voir du pays, les garçons devaient être à l'arrière-plan. Mais on tombe amoureuses, fascinées par tous les acteurs avec qui on travaille. Alors, on a renoué avec un film de groupe. »

Et la condition féminine ?

« C'est non seulement un thème central pour nous, mais il est presque fondateur de ce que nous écrivons », dit Muriel.

Existe-t-il des points communs entre le personnage de Marine et Soko, son interprète ?

« Rien ! », s'exclame Soko, qui participe à l'entretien.

« La force de caractère, l'énergie. Et la sensibilité derrière cette force », soutiennent Delphine et Muriel après un fou rire.

« Moi, j'adore la communication et je me définis comme une personne vulnérable, reprend Soko. De jouer quelqu'un qui, comme Marine, est dans le déni de ses émotions, ça m'était très bizarre. »

Dans le film, on a l'impression que, comme sur un champ de bataille, on ne sait jamais d'où viendra la menace. Qu'en dites-vous ?

« Oui, c'était intéressant de jouer avec ce concept, répond Muriel. Nous voulions mettre le spectateur dans la même position que les filles. On croit un instant que le danger va venir des touristes ou des Chypriotes. Et comme souvent, parce qu'on pense que le danger vient de l'étranger, le spectateur est pris à son propre piège... »

Est-ce que, dans la vie quotidienne, on s'interroge sur la valeur de ces passages en « sas de décompression » ?

« Ils ne sont pas tellement connus du public, dit Muriel. Donc, il n'y a pas de polémique. Ce qui revient davantage sur le devant de la scène est le malaise vécu par plusieurs vétérans. On a longtemps cru que les soldats français rentraient de mission et que tout allait bien. Aujourd'hui, l'armée admet que des problèmes existent. »

« Sauf qu'on parle de 4 à 5 % de soldats français souffrant de stress post-traumatique, alors qu'au Canada et aux États-Unis, on évoque de 17 à 20 %, s'offusque Delphine. C'est comme lorsqu'on disait que le nuage de Tchernobyl était passé au-dessus de tous les pays d'Europe sauf la France... »

Quel doit être le travail des romanciers et des cinéastes français face aux interventions de l'armée française, en Afghanistan ou ailleurs ?

« Il faut ouvrir les yeux, répondent les soeurs Coulin. Le film parle de cela. Proust disait qu'écrire, c'est emprunter mille regards différents. Si on peut prêter nos lunettes aux spectateurs afin qu'ils comprennent mieux le sexisme ou l'absurdité des guerres, c'est pas mal... »

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Voir du pays prendra l'affiche le 14 avril.

Photo fournie par Axia Films

Voir du pays

Photo fournie par Axia Films

Ariane Labed et Soko interprètent respectivement Aurore et Marine dans Voir du pays, un film des réalisatrices Delphine et Murielle Coulin.