Avec Mia Madre, Nanni Moretti nous offre un peu sa Nuit américaine. À la différence du célèbre film  de François Truffaut, il n'est toutefois pas question ici de cinéma uniquement. Rencontre avec le chef de file du cinéma contemporain italien.

À l'époque de La chambre du fils, qui lui a valu la Palme d'or du Festival de Cannes, Nanni Moretti avait fait écho à l'une de ses plus grandes angoisses: la perte d'un enfant. Une quinzaine d'années plus tard, le cinéaste italien évoque une épreuve à travers laquelle il est lui-même passé il y a quelques années, à la suite du décès de sa mère malade.

«J'ai toujours mêlé le drame et la comédie dans mes films», expliquait-il au cours d'un entretien accordé à La Presse à la faveur de la présentation de Mia Madre au festival de Toronto l'an dernier. D'où le prétexte de montrer, en parallèle, le tournage d'un film politique où pratiquement rien ne fonctionne, à commencer par la gérance des caprices de la star américaine, incarnée par John Turturro.

Aussi s'étonne-t-on du fait que dans cette oeuvre éminemment personnelle, Moretti ne se soit pas donné le premier rôle. Il l'a pourtant souvent fait dans le passé.

Une héroïne

Cette fois, il a préféré faire du personnage principal une héroïne. Margherita Buy, une habituée des plus récents films du cinéaste, se glisse ainsi dans la peau d'une réalisatrice qui, en plus de devoir trouver des solutions au million de problèmes qui surgissent sur son plateau, s'occupe de sa mère en fin de vie.

«Dès la toute première conférence de presse à Rome, les journalistes m'ont immédiatement posé la question, rappelle Moretti. Au point où Margherita s'est tournée vers moi en me disant qu'ils ne lui pardonneraient probablement jamais d'avoir joué le rôle à ma place! Mais la vérité est que je n'ai jamais pensé à jouer ce personnage moi-même parce que je ne l'ai jamais conjugué au masculin dans mon esprit, même à l'étape de l'écriture. J'ai aussi voulu donner au personnage qu'interprète Margherita des caractéristiques qu'on prête habituellement à des personnages masculins, à commencer par l'exercice de son métier. Il y a encore trop peu de réalisatrices de cinéma en Italie.»

Le cinéaste souhaitait aussi que ce personnage de femme soit tiraillé dans son intimité de la même façon que le sont habituellement les personnages masculins au cinéma. Margherita (le personnage porte le même prénom que l'actrice qui l'incarne) a ainsi le sentiment de tout mal gérer, autant dans sa vie professionnelle que familiale.

«J'ai fait ce choix précis dès le départ, indique le cinéaste. D'autant que je voulais écrire un film spécifiquement pour Margherita. Cette merveilleuse actrice est sous-utilisée en Italie. On lui confie souvent le même type de personnage un peu névrotique.»

Quarante ans de cinéma

Nanni Moretti compte maintenant un peu plus d'une quarantaine d'années de cinéma au compteur. Si les modes de diffusion et de «consommation» ont évidemment beaucoup changé au fil des ans, la motivation originale, elle, reste toujours la même.

«Dès l'âge de 19 ans, j'ai espéré faire du cinéma. Ça me semblait être le mode d'expression idéal pour transmettre ce que j'avais envie de communiquer aux autres, mais aussi ce que j'avais envie de me dire à moi-même.»

«Ce désir de raconter des histoires d'un point de vue personnel est resté intact au fil des ans. Aussi, ma curiosité de voir les films des autres cinéastes n'a pas diminué. Il y a toutefois une chose qui a changé: si quelqu'un me propose un scénario que j'aime vraiment, je serai maintenant ouvert à l'idée de le porter à l'écran. Plus jeune, jamais cette idée ne m'aurait effleuré l'esprit.»

Possédant sa propre société de production (Sacher Film), sa propre société de distribution (Sacher Distribuzione) et aussi sa propre salle de cinéma à Rome (le Nuovo Sacher), Nanni Moretti est impliqué depuis très longtemps dans tous les aspects de l'art cinématographique.

«Il y a 30 ans, on parlait déjà de la crise du cinéma, fait-il remarquer. Plutôt que de participer à des conférences et à des colloques pour discuter jusqu'à quel point la situation est terrible, j'ai préféré agir en fondant ma boîte de production et donner une chance à de jeunes cinéastes. Le plus grand défi auquel nous faisons face aujourd'hui est l'absence de renouvellement du public cinéphile. Je le constate bien dans ma propre salle: les jeunes désertent le cinéma d'auteur et préfèrent aller voir des superproductions. Mais je crois à un retour du balancier.»

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Mia Madre (Ma mère, en version française) prendra l'affiche le 24 juin.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS SÉVILLE

Mia Madre de Nanni Moretti.