L’écrivaine Annie Ernaux pose sa voix sur des bribes d’images muettes provenant de films de famille des années 1970. Chronique d’une époque et puissant récit d’émancipation féminine.

Dans Les années Super 8, sorte d’album familial commenté, Annie Ernaux revisite, avec l’aide de son fils David, des images captées par son mari Philippe, qui, à l’époque, traîne une caméra Bell & Howell partout où il va. Devenue l’objet le plus convoité des ménages aisés, la caméra sera témoin privilégié d’une décennie de vie familiale, entre 1972 et 1981. Et de l’insatisfaction d’une femme qui peine à y trouver sa place, sauf lorsqu’elle écrit.

Ceux qui se sont déjà plongés dans les mots d’Ernaux reconnaîtront sa poésie et sa propension à raconter et à décrire, dans les moindres détails, jusqu’à ce que se révèle une fresque, un portrait, une histoire. Quelle réalité se cache derrière les bobines familiales ? Nul ne le saurait si Annie Ernaux n’avait pas fouillé dans ses images, portant un regard en différé sur sa propre existence et sur le monde qui l’entoure. « Il fallait des mots pour donner un sens à ce temps muet », dit-elle vers la fin du film.

Les archives tremblantes, au grain singulier, sont peu éloquentes en elles-mêmes. C’est ce qu’en dit la narratrice qui est intéressant. Elle nous révèle que derrière cette épouse, cette mère, qui ne semble pas tout à fait à l’aise dans ses rôles, existe une femme en pleine écriture de son premier roman, qui rêve d’émancipation.

Au détour de plusieurs voyages – Albanie, Maroc, Espagne et Russie, entre autres –, on assiste à l’essor du tourisme du point de vue de la bourgeoisie française, classe sociale qu’Ernaux désavoue, malgré l’évidence. L’écrivaine a cette façon de dévoiler les mécanismes sociaux derrière les phénomènes qu’on pourrait croire seulement intimes.

Jusqu’au dernier voyage filmé avec la Bell & Howell, avec laquelle Philippe Ernaux partira après l’éclatement de la cellule familiale, Les années Super 8 examine de manière touchante ce que constitue la mémoire familiale et, à contre-courant, la naissance d’une femme de lettres.

L’exercice d’autoréflexion auquel se prête Annie Ernaux n’a rien d’innovant, mais saura plaire à ceux qui apprécient l’autobiographie qu’est l’œuvre de l’écrivaine, dont la voix unique s’amplifie à chaque nouveau projet.

Les années Super 8

Documentaire

Les années Super 8

Annie Ernaux et David Ernaux-Briot

1 h 01

7,5/10