Deux couples que tout sépare sont réunis par un fou hasard : les premiers sont gitans, manquent d’argent, vivent dans une caravane et attendent un sixième enfant. Les deuxièmes sont avocats, rêvent d’enfants, mais n’y arrivent pas.

C’est un scénario impossible, limite tiré par les cheveux. Et pourtant. Le sixième enfant, premier long métrage signé Léopold Legrand (retenez son nom), est bel et bien inspiré d’un fait vécu. Un fait divers, en fait, à l’origine d’un roman (Pleurer des rivières, d’Alain Jaspard), lui-même à l’origine de ce film poignant.

Le réalisateur, intimement interpellé par les questions de filiation (il a perdu sa mère très jeune, et a été adopté par sa belle-mère), explore ici un sujet dérangeant : le désir quasi viscéral d’enfant. Et toutes les questions morales, légales, humaines, finalement, qui s’y rattachent.

En gros : est-ce immoral d’être prêt à tout pour avoir un enfant ? Et si les principaux intéressés sont d’accord ? Si ça les arrange, est-ce moins amoral ? Et la loi, dans tout ça ?

Le film raconte donc l’histoire de ces deux couples aux antipodes : Frank et Meriem, deux bohèmes sans le sou qui vivent dans une caravane avec leur tribu, et Julien et Anna, deux avocats au train de vie qu’on devine aisé, mais en mal de famille. Un préambule et des parallèles (les pauvres d’un côté, les riches de l’autre) qui ne sont pas sans vaguement rappeler ceux de La vie est un long fleuve tranquille. Mais si la comédie d’Étienne Chatiliez frôlait la caricature sociale, Léopold Legrand réussit ici à garder un recul et surtout une sobriété, sans jamais tomber dans le jugement. Ni d’un bord ni de l’autre, d’ailleurs.

Ici, c’est la sensibilité qui prime. Et toute la complexité des émotions. Dieu sait s’il y en a.

Notons la distribution impeccable (brillante Sara Giraudeau, primée à Angoulême, aux côtés du toujours très juste Benjamin Lavernhe, de la Comédie-Française), laquelle évolue dans une sorte de huis clos, légèrement anxiogène. Et oui, c’est déchirant.

C’est que d’un côté, on comprend très bien le souhait de Frank (touchant Damien Bonnard) et Meriem (Judith Chemla métamorphosée) de s’en sortir, malgré un soupçon d’ambivalence, juste assez suggéré. De l’autre, le désir limite irrationnel d’Anna (Sara Giraudeau) sonne si vrai qu’on ne peut pas ne pas y croire. Même si elle déraille par bout. Et en arrive à cet arrangement impossible.

Mention spéciale à la trame musicale, si bien sentie, d’un film qui nous tient en haleine tout le long, malgré, unique bémol, une finale un peu trop douillette à notre goût.

Le sixième enfant

Drame

Le sixième enfant

Léopold Legrand

Avec Sara Giraudeau, Benjamin Lavernhe, Judith Chemla et Damien Bonnard

1 h 32

7,5/10