Entre les mains d’un cinéaste comme Guillermo del Toro, il ne fallait évidemment pas s’attendre à une lecture traditionnelle du célèbre conte que Carlo Collodi a écrit en 1881. Voyant son Pinocchio comme le dernier volet d’une trilogie amorcée avec L’échine du diable (2001) et poursuivie avec Le labyrinthe de Pan (2006), le réalisateur de The Shape of Water propose plutôt une vision plus réaliste.

Construit autour du deuil profond d’un homme ne pouvant se remettre de la perte d’un petit garçon, le récit est transposé dans l’une des périodes les plus sombres du XXe siècle, marquée en outre en Italie par la montée du fascisme et l’arrivée au pouvoir de Benito Mussolini. Ce dernier figure d’ailleurs dans le film à titre de spectateur d’un spectacle dont Pinocchio est la vedette.

Empruntant la technique de l’animation stop motion, technique artisanale consistant à faire bouger les personnages image par image, ce Pinocchio pour lequel la signature du cinéaste fait partie intégrante du titre (ce qui le distingue de toutes les autres versions) se pose un peu comme un pied de nez à la version disnéenne de 1940 (et celle, ratée, réalisée par Robert Zemeckis cette année). Et c’est bien tant mieux.

La grande réussite de cette libre adaptation, dont le scénario a été coécrit avec Patrick McHale (Adventure Time, Over the Garden Wall), est d’avoir écarté d’emblée l’aspect moralisateur qu’on tend à coller habituellement à un conte célébrant les vertus de l’obéissance chez les enfants. Comme le souligne Sebastian J. Cricket (à qui Ewan McGregor prête sa voix dans la version originale), on évoque plutôt ici une allégorie à propos « d’un père et d’un fils imparfaits » qui doivent s’accepter – et s’aimer – tels qu’ils sont.

En étant transposé dans les années 1930, le récit comporte ainsi de nombreuses résonances avec le monde actuel en faisant notamment écho à l’émergence d’idéologies autoritaristes, auxquelles Guillermo del Toro oppose la notion de désobéissance.

Le choix de cette époque n’est évidemment pas innocent, le cinéaste évoquant de nouveau, comme il l’a fait dans les deux premiers volets de sa trilogie, le sort d’enfants devant grandir dans un monde cruel.

IMAGE FOURNIE PAR NETFLIX

Scène tirée de Guillermo del Toro’s Pinocchio (Pinocchio par Guillermo del Toro)

Réaliste, mais lumineux

Même si ce Pinocchio, que signe Mark Gustafson en coréalisation, a un peu de Frankenstein en lui (l’autre conte favori de Guillermo del Toro) et comporte de plus sombres aspects, il n’en est pas moins lumineux pour autant. L’animation est d’une telle qualité que les personnages deviennent bien réels à l’écran, au point où l’émotion est parfois poignante. Sur ce plan, le personnage de Geppetto (à qui David Bradley prête formidablement sa voix dans la version originale), homme endeuillé à jamais qui défie le destin en fabriquant sa marionnette de bois, n’a jamais été aussi émouvant, aussi profond.

Ponctué de quelques chansons (Alexandre Desplats signe également la trame musicale), non dénué d’humour (gracieuseté de Sebastian J. Cricket), Pinocchio se pose un peu comme un film-somme pour Guillermo del Toro. Les admirateurs reconnaîtront assurément les points d’ancrage de son univers et les clins d’œil faits à ses longs métrages précédents, de l’aspect visuel de certaines créatures, un peu à la Hellboy, jusqu’à l’ambiance de cirque de Nightmare Alley.

Pinocchio, que le cinéaste mexicain a cogité pendant plus de 10 ans avec une armée d’animateurs, est sans contredit l’une des plus grandes réussites de Guillermo del Toro. Ce film, destiné autant aux adultes qu’aux plus jeunes, est offert en exclusivité sur Netflix.

Sur Netflix

Guillermo del Toro’s Pinocchio (V. F. : Pinocchio par Guillermo del Toro)

Film d’animation

Guillermo del Toro’s Pinocchio (V. F. : Pinocchio par Guillermo del Toro)

Guillermo del Toro et Mark Gustafson

Avec les voix d’Ewan McGregor, David Bradley et Gregory Mann

1 h 57

8/10