Il y avait quand même un bon moment que le cinéma français nous avait offert un film à caractère historique aussi ambitieux, dans la plus pure tradition du genre. Il n’y a pourtant rien d’ampoulé dans cette adaptation d’Un grand homme de province à Paris, la deuxième partie du roman classique d’Honoré de Balzac, que porte à l’écran Xavier Giannoli.

Bien que le réalisateur de Quand j’étais chanteur et de Marguerite propose une fresque somptueuse en disposant visiblement des moyens de ses ambitions, sa vision d’Illusions perdues reste beaucoup plus romanesque que scolaire. Et s’ancre dans un esprit bien contemporain.

Signant le scénario de son long métrage avec le vétéran Jacques Fieschi (Les destinées sentimentales, Yves Saint Laurent), Xavier Giannoli décrit le parcours d’un jeune poète inconnu qui, à l’époque de la Restauration au début du XIXsiècle, quitte l’emploi qu’il occupe dans une petite imprimerie de sa province natale pour tenter sa chance à Paris en tant qu’artiste. Et, qui sait, se faire peut-être un nom dans les cercles bien vus.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Xavier Dolan dans Illusions perdues, un film de Xavier Giannoli

Sous la bienveillance de Louise de Bargeton (Cécile de France), une protectrice d’Angoulême qui lui trouve tous les talents, Lucien de Rubempré (Benjamin Voisin) pourra ainsi être présenté une première fois à une soirée mondaine offerte par la cousine de son amante, une marquise ayant beaucoup d’influence (Jeanne Balibar). Les maladresses du débutant ne maîtrisant pas encore les codes de la haute société parisienne ne le feront évidemment pas bien paraître, mais Lucien n’en reste pas là. Il se liera d’amitié avec le journaliste Étienne Lousteau (Vincent Lacoste), qui l’introduira à la critique, où le jeune homme parviendra à se faire une réputation et… quelques ennemis.

Un univers de faux-semblants

Lucien fera également la connaissance de Nathan d’Anastazio (Xavier Dolan), un écrivain dont le personnage, inspiré par trois personnages du roman, a été créé pour le film, de même que de Dauriat (Gérard Depardieu), un éditeur analphabète pour qui l’intérêt de publier un recueil de poèmes, comme celui que lui propose Lucien, est complètement nul. Et puis, une rencontre avec une jeune actrice de boulevard, qui compte être maintenant prise plus au sérieux en jouant du Racine (Salomé Dewaels), fera battre son cœur…

L’imposture et la société du spectacle ayant souvent traversé l’œuvre de Xavier Giannoli, on ne s’étonnera guère de l’intérêt que le cinéaste porte à cette histoire hautement cynique, campée dans une société où priment les faux-semblants, où pullulent les intrigues de coulisses, où tout s’achète et tout se vend, et où chaque action se déploie à l’aune de son allégeance politique.

Si cette approche trouve à l’évidence des résonances avec le climat social actuel, on pourra quand même grincer des dents devant la vision qu’on propose ici du journalisme culturel. Toute forme d’éthique étant inexistante à cette époque, une « bonne » ou une « mauvaise » critique dans une feuille de chou pouvait tout simplement être accordée au plus offrant. Cette façon d’acheter triomphe ou sifflets dans un théâtre – peu importe la vraie valeur de la production qu’on y présente – nous vaut d’ailleurs une belle présence du regretté Jean-François Stévenin, dans un personnage spécialisé dans la « claque » préprogrammée.

Autour de Benjamin Voisin, remarquable dans le rôle de Lucien de Rubempré, gravite une distribution éblouissante (six interprètes du film sont en lice à la cérémonie des César !), dans laquelle se distingue notamment Xavier Dolan. Non seulement le cinéaste québécois ne pourrait être plus naturellement à sa place dans ce cadre, mais il assure de surcroît une narration hors champ impeccable.

Dans la lignée de Cyrano de Bergerac, Ridicule et autres Reine Margot, on inscrira Illusions perdues parmi les grands classiques du cinéma historique français.

En salle

Illusions perdues

Drame

Illusions perdues

Xavier Giannoli

Avec Benjamin Voisin, Cécile de France, Xavier Dolan

2 h 29

8/10