Les cinéphiles québécois auront enfin l’occasion de voir ce film dont la notoriété n’a cessé de croître depuis le début de la saison des récompenses. Des observateurs estiment d’ailleurs que Drive My Car pourrait fort bien être cité aux Oscars dans d’autres catégories que celle dévolue au meilleur film international.

Dans ce drame admirablement mis en scène, où le thème de la disparition trouve un formidable écho dans le théâtre d’Anton Tchekhov, le cinéaste Ryûsuke Hamaguchi (Wheel of Fortune and Fantasy) met de l’avant un cinéma aussi subtil que poignant, gratifié également d’une facture visuelle splendide.

Puisant sa source dans une nouvelle de Haruki Murakami, le récit de Drive My Car repose sur la quête de sens à laquelle se livre Yusuke (Hidetoshi Nashijima, magnifique), un acteur et metteur en scène de théâtre qui souffre du départ soudain et mystérieux de sa femme, une dramaturge avec laquelle il filait le parfait amour, même si des infidélités ont parfois fait partie du parcours du couple.

Aussi accepte-t-il l’invitation que lui a faite un théâtre de Hiroshima d’aller là-bas en résidence pour y monter une version internationale et multilingue d’Oncle Vania, pièce dont il pourrait aisément jouer lui-même le personnage principal, ce qu’il se refuse pourtant de faire. L’acteur qu’il choisit pour le rôle est japonais, mais la distribution comprend aussi des acteurs s’exprimant en coréen, en anglais, de même qu’en langage des signes.

Le titre du film évoque la présence d’une jeune chauffeuse, embauchée pour conduire Yusuke dans tous ses déplacements, la production refusant, pour une question d’assurance, que le metteur en scène conduise lui-même sa propre voiture. Avec cette jeune femme, prénommée Misaki (Tokô Miura), le quadragénaire aura de longues conversations existentielles sur la route, à bord de la SAAB 900 dont Yusuke prend grand soin, et à laquelle il tient comme à la prunelle de ses yeux.

Une fresque intime fascinante

Il n’y a rien de vraiment spectaculaire pendant les trois heures que dure la projection, pourtant, Drive My Car est traversé par la grâce du début à la fin. La première partie du film, superbement sensuelle, est consacrée à la relation qu’entretiennent Yusuke et Oto, sa femme adorée (Reika Kirishima), laquelle captive tellement l’attention qu’on en oublie l’absence de générique d’ouverture. Celui-ci apparaît en effet au bout d’une quarantaine de minutes. Tout le reste du récit explorera la façon dont Yusuke devra composer avec cette disparition inattendue, d’autant plus troublante qu’elle survient à un moment où le couple avait à régler une question grave, qui restera ainsi en suspens.

PHOTO FOURNIE PAR EYESTEELFILM

Hidetoshi Nishijima est la tête d’affiche de Drive My Car (Conduis mon char), un film de Ryûsuke Hamaguchi.

Le processus de la création théâtrale fait bien entendu partie de la façon qu’a Yusuke de vivre son deuil, mais c’est aussi en réécoutant inlassablement, matin et soir dans la voiture, un enregistrement avec toutes les répliques de la pièce, qu’un lien sera établi avec la chauffeuse qui, au fil des jours, se confiera à lui. S’attardant également de façon attentive aux personnages périphériques de cette histoire – les comédiens de la pièce notamment –, Ryûsuke Hamaguchi orchestre ainsi une fresque intime fascinante, qui prend bien le temps de se déployer, pour aboutir à une étude psychologique très fine, extrêmement bien maîtrisée.

Lauréat du prix du meilleur scénario au Festival de Cannes l’an dernier (plusieurs festivaliers l’attendaient plus haut dans le palmarès), Drive My Car est un film dont il émane une douce mélancolie, alliée à une réflexion sensible et mature sur la profondeur d’un sentiment amoureux. Sans contredit l’une des plus belles œuvres cinématographiques que nous ayons vues en 2021.

Drive My Car prend l’affiche en salle en version originale avec sous-titres en français (sous le titre Conduis mon char) dès le 7 février.

Drive My Car (V. F. : Conduis mon char)

Drame

Drive My Car (V. F. : Conduis mon char)

Ryûsuke Hamaguchi

Avec Hidetoshi Nishijima, Tôko Miura, Reika Kirishima

2 h 59

8/10

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