Ça commence à l’église. Pour une histoire se déroulant dans une région du Québec éloignée des grands centres alors que le XXsiècle est vieux d’à peine 10 ans, rien de plus normal, direz-vous.

Chez les Chapdelaine, on tient pourtant la religion à distance, d’autant que l’endroit où Samuel (Sébastien Ricard) s’est installé avec sa famille – une concession aux abords de la rivière Péribonka – ne favorise pas tellement l’accueil de la visite, encore moins celle des curés.

Cette première séquence, baignée dans une lumière digne d’un tableau de maître, indique plutôt le nouvel émoi que Maria (Sara Montpetit) éprouve subrepticement pour François Paradis (Émile Schneider), ami d’enfance coureur des bois épris d’espace et de liberté, qui fera partie des trois prétendants faisant « de la belle façon » à l’adolescente.

Cela dit, cette adaptation somptueuse du roman classique de Louis Hémon n’est pas uniquement axée sur les amours naissantes d’une jeune femme qu’on sent déchirée face aux choix de vie qui s’offrent à elle, dans un contexte où les options sont plutôt limitées. Contrairement à ses trois prédécesseurs – Julien Duvivier (1934), Marc Allégret (1950) et Gilles Carle (1983) –, Sébastien Pilote (Le démantèlement, La disparition des lucioles), lui-même un homme du pays, a vu plus large en tirant davantage de la trame du roman que le fil romantique.

Un portrait de famille

Même si le récit emprunte le point de vue de Maria, il s’agit plutôt ici d’un portrait de famille – et plus largement celui d’une microsociété –, qui s’arrime à l’histoire du Lac-Saint-Jean des années 1910 de la même façon que celle des Plouffe dans celle de la ville de Québec des années 1940.

PHOTO FOURNIE PAR MK2 | MILE END

Sébastien Ricard et Hélène Florent dans Maria Chapdelaine, un film de Sébastien Pilote

Divisé en cinq chapitres, le récit épouse le rythme des saisons et mise davantage sur l’évocation que sur les péripéties d’une histoire plus impressionniste que démonstrative.

Le cinéaste préfère en effet entraîner le spectateur dans un autre espace-temps, grâce à une approche quasi contemplative d’où émergent autant la puissance de la nature que la force intérieure des femmes et des hommes devant apprendre à vivre en harmonie avec elle.

Le cinéaste fait aussi écho à la dynamique d’une famille bien de son époque, pourtant moderne dans sa façon de se préserver quelques espaces de liberté. Maria demeure une jeune fille assumant ses choix, tout comme sa mère Laura (Hélène Florent), une femme de terre qui mène sa vie à l’égale de son mari. La relation avec les autochtones des environs est aussi empreinte de respect, particulièrement dans l’œil de François Paradis, bien que le terme « Sauvage » était encore très répandu à l’époque.

La construction de notre histoire

Surtout, Maria Chapdelaine illustre un mode de vie ayant contribué à la construction à bout de bras de notre histoire collective. Le directeur photo Michel La Veaux a su composer des images visuellement splendides tout en traduisant l’âpreté et la dureté d’une vie de défricheurs.

Certains plans sont tout simplement d’une beauté sublime. La trame musicale de Philippe Brault, lyrique sans être envahissante, ajoute au souffle épique de cette production hyper soignée.

D’une distribution d’ensemble de toute première classe se démarquent notamment Hélène Florent, remarquable dans un rôle de mère en pleine maîtrise, et Sébastien Ricard, très émouvant dans la peau du patriarche bienveillant, atteint par le doute, qu’il exprime d’ailleurs lors d’un monologue très poignant. On soulignera aussi la présence d’Antoine Olivier Pilon, l’interprète d’Eutrope, seul prétendant ne pouvant offrir à Maria autre chose que la continuité plutôt que la part du rêve, de même que celle de Sara Montpetit. Dans le rôle-titre, la jeune comédienne offre une performance empreinte de sobriété, subtile et nuancée.

Avec une durée de 2 h 38 min – 3 minutes de plus que Dune ! –, certains spectateurs trouveront sans doute l’expérience contemplative un peu longue, mais Sébastien Pilote offre ici une œuvre qui s’inscrira dans l’histoire comme étant la version incontestable et définitive du roman de Louis Hémon au cinéma. Cette quatrième version, réalisée par un cinéaste qui porte lui-même cette histoire dans sa chair, est ainsi pleinement justifiée.

En salle

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Maria Chapdelaine

Drame historique

Maria Chapdelaine

Sébastien Pilote

Avec Sara Montpetit, Hélène Florent, Sébastien Ricard

2 h 38

8/10