L’écran est encore noir quand fusent déjà des sons à faire dresser les cheveux sur la tête. On entend des sifflements de balles, des tirs de snipers, des explosions d’obus. La première image est celle de Paul Marchand (Niels Schneider), nu dans sa baignoire, en train de se frotter frénétiquement en tremblant de tous ses membres, comme pour se débarrasser de l’odeur de soufre et de mort qui lui colle à la peau.

Alors qu’un plan aérien de Sarajevo se révèle, on situe l’action : nous sommes en 1992, sept mois après le début du siège de la ville. Ce sera pratiquement la seule mise en contexte à laquelle le spectateur aura droit. L’approche de Guillaume de Fontenay, qui signe ici un premier long métrage saisissant, est de nous plonger au cœur du chaos, de façon la plus sèche possible, sans qu’on puisse trop comprendre comment on a pu atteindre un tel seuil de folie guerrière. Le format 4 : 3, plus carré, accentue d’ailleurs l’effet d’étouffement. Comme un étau qui se resserre.

La caméra est fébrile, capte l’urgence de raconter, un peu à l’image du bolide délabré que Marchand conduit à tombeau ouvert sur un grand boulevard désert pendant que son collègue photographe (Vincent Rottiers) s’extirpe de la fenêtre du passager pour faire son travail. Cette réalité crue, qui se déroule « sous l’œil impassible de la communauté internationale », ne peut se prêter au sensationnalisme, encore moins au glamour. On meurt ici. Tous les jours. En pleine rue. Parfois même sous un panneau publicitaire de Coca-Cola.

Même si, dans cette ambiance de fin du monde, on peut parfois s’éclater et baiser furtivement dans une boîte underground au son de Rebel Yell ou Fade to Grey, il reste que le décompte quotidien des morts et des blessés est effarant. Et inclut parfois les noms de journalistes étrangers.

Rien d’un film « aimable »

Sympathie pour le diable, inspiré du récit que Paul Marchand a publié en 1997, n’a rien d’un film « aimable », on l’aura compris. D’autant plus que la personnalité même du reporter, qui s’est suicidé en 2009, n’a strictement rien de lisse. Le défi du cinéaste – et de Niels Schneider – était justement de communiquer l’indignation, voire la révolte d’un reporter visiblement animé de convictions humanistes, sans pour cela effacer les aspérités d’un homme qui, de son vivant, pouvait aussi susciter le rejet.

Le récit fait d’ailleurs écho à la nature kamikaze d’un correspondant de guerre qui, en plus de se permettre des commentaires éditoriaux dans ses reportages, n’hésite pas non plus à se rendre où personne d’autre ne veut aller. Il affiche ainsi un profond mépris pour certains collègues qui, à ses yeux, ne font pas les efforts nécessaires pour aller chercher la nouvelle. Il exècre davantage ceux qui mettent en scène leurs reportages ou qui, pire encore, cèdent à la tentation d’en accentuer les effets dramatiques, histoire de les rendre encore plus spectaculaires.

IMAGE FOURNIE PAR LES FILMS SÉVILLE

Sympathie pour le diable

À cet égard, il convient de souligner la performance de Niels Schneider. L’acteur franco-québécois offre ici une composition vraiment remarquable. Louons aussi la qualité de la reconstitution historique de ce film au modeste budget, dont le tournage s’est déroulé exactement aux mêmes endroits, 25 ans plus tard.

Quand les notes de Brothers in Arms, la poignante chanson de Dire Straits, montent pendant que défile le générique de fin, on a instinctivement l’impression qu’un rouleau compresseur nous est passé sur le corps, mais on comprend aussi très vite combien l’expérience qu’on vient de vivre est essentielle. Parce qu’elle nous connecte directement à la réalité que vivent encore trop d’êtres humains, coincés dans des conflits aussi horribles qu’absurdes. Elle nous relie aussi à celles et ceux qui ont le mandat de nous en informer. Courageusement.

★★★★

Drame. Sympathie pour le diable, de Guillaume de Fontenay. Avec Niels Schneider, Vincent Rottiers, Ella Rumpf. 1 h 42.

> Consultez l’horaire du film : https://ouvoir.ca/2019/sympathy-for-the-devil