Il y a quand même quelque chose de profondément émouvant dans le geste même de Martin Scorsese, l’un des plus grands cinéastes contemporains. À 76 ans (77 dans deux jours !), celui qui a réinventé le film de gangsters revient à son genre de prédilection en réunissant la crème des acteurs de sa génération — tous septuagénaires — parmi lesquels, bien sûr, Robert De Niro.

Le réalisateur de Taxi Driver retrouve ainsi son acteur fétiche, absent de son cinéma depuis Casino (sorti en 1995), pour un neuvième long métrage. On y retrouve également Joe Pesci, Harvey Keitel, et s’ajoute même à la bande — mieux vaut tard que jamais — un nouveau membre : Al Pacino.

Maîtrisant de bout en bout son art, Martin Scorsese nous entraîne pendant trois heures et demie, dont on savoure chacune des minutes sans jamais voir le temps passer, dans les souvenirs d’un gangster âgé, dont la mort approche. Frank Sheeran (Robert De Niro), surnommé « The Irishman », fut au cœur des activités de la mafia pendant toute la deuxième partie du XXsiècle.

Le scénario, brillant, que Steve Zaillian (Schindler’s List, Gangs of New York) a tiré du livre de Charles Brandt (I Heard You Paint Houses), se déploie ainsi sur plusieurs époques, abordant au passage des moments marquants de l’histoire des États-Unis.

Ces passages sont très fluides, même si, grâce à une technologie des plus raffinées — et très réussie —, la toute première scène où Robert De Niro apparaît rajeuni de 40 ans surprend un peu. La rencontre entre ce soldat revenu de la Deuxième Guerre mondiale et Russell Bufalino, l’un des lieutenants du monde criminel local, sera d’autant plus déterminante que ce dernier est interprété par Joe Pesci, un acteur qui, déjà, a donné la réplique à De Niro de façon grandiose dans Goodfellas, il y a près de 30 ans.

Cette réunion constitue à elle seule l’un des plaisirs jubilatoires de The Irishman. C’est d’ailleurs grâce à Bufalino que Sheeran sera présenté à Jimmy Hoffa (Al Pacino), célèbre — et puissant — président du syndicat des Teamsters, dont les circonstances de la disparition, en 1975, n’ont jamais vraiment été élucidées.

Un portrait très riche

Le récit s’attardera à proposer une hypothèse, mais l’intérêt de The Irishman, au-delà de l’intrigue, réside ailleurs. Le portrait que Scorsese brosse de la société américaine est très riche, tout autant — et c’est là l’essentiel — que celui des personnes.

Le cinéaste parvient en effet à capter le caractère humain d’individus dont les actions sont évidemment condamnables, sans pour cela jamais glorifier le milieu dans lequel ces gens ont sévi. Les touches d’humour, l’élégance d’une mise en scène précise et sans esbroufe, le souffle du récit, bref, tous les ingrédients de ce que l’on appelle « un grand film » sont ici réunis.

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The Irishman

Et puis, il y a ces acteurs, tous impeccables, tous inspirés. Avec, au sommet, cette rencontre dont rêvaient les cinéphiles depuis Heat (Michael Mann).

Robert De Niro et Al Pacino offrent en effet des performances remarquables, à la fois puissantes et subtiles, qui font assurément partie des meilleures en carrière de l’un et de l’autre.

Le seul regret qui nous anime face à cette extraordinaire leçon de cinéma que nous offre Martin Scorsese est de savoir que la vaste majorité du public qu’elle atteindra n’aura pas l’occasion de la voir sur grand écran.

Notez cependant que The Irishman, un film de Netflix produit pour environ 140 millions de dollars, prend l’affiche vendredi dans deux salles de cinéma à Montréal, soit au Cinéma Moderne (une version sous-titrée en français y sera projetée à compter du 23 novembre) et au Cinéma Dollar en version originale. Il prendra aussi l’affiche en version sous-titrée française au Starz Langelier le 22 novembre et à la Cinémathèque québécoise (salle Fernand-Seguin) le 25 novembre.

Netflix le diffusera sur sa plateforme dès le 27 novembre.

★★★★½

The Irishman. Un drame de Martin Scorsese. Avec Robert De Niro, Al Pacino, Joe Pesci. 3 h 30.

> Consultez l’horaire du film : https://ouvoir.ca/2019/the-irishman