Quand il a présenté son nouveau film au festival de Toronto, Pedro Almodóvar a raconté au public que Dolor y gloria  (Douleur et gloire en version française) constituait le dernier volet d’une trilogie involontaire, amorcée avec La loi du désir, en 1986, et poursuivie avec La mauvaise éducation, en 2004. Les trois œuvres sont en effet construites autour d’un personnage de cinéaste qui jongle avec la notion de réalité et de fiction.

D’évidence, on ne peut poser à 70 ans le même regard sur cette démarche qu’à 30 ou 50 ans. D’où l’impression qu’en plus d’être une œuvre crépusculaire, Douleur et gloire constitue aussi le plus personnel des films du maître espagnol.

On pourrait avancer l’idée d’autoportrait, tant le récit semble nourri de l’histoire intime du cinéaste, qui va même jusqu’à reproduire son propre appartement en guise de décor. Or, et c’est là la force du cinéma, Douleur et gloire est une aussi une fiction nourrie des préoccupations d’un artiste assailli par le doute et condamné à l’excellence, bien conscient du fait que son œuvre est déjà construite. Et qu’il reste désormais moins de pierres à ajouter à l’édifice.

Grande composition

IMAGE TIRÉE DU FILM

Asier Etxeandia et Antonio Banderas dans Douleur et gloire

Almodóvar a choisi de faire d’Antonio Banderas, qui fut l’une des figures de proue de ses premiers films, son alter ego. L’acteur, qui a obtenu le prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes cette année, propose l’une de ses plus grandes compositions, empreinte de la sobriété naturelle qu’amène la maturité. Commençant au fond d’une piscine, alors que Salvador (Banderas) retient son souffle pour mieux laisser les souvenirs remonter à la surface, le récit se déroule à deux époques.

Il y a le passé, bien sûr, marqué par une enfance ensoleillée, vécue dans un milieu modeste. Avec la mère adorée (Penélope Cruz) et les autres femmes qui l’entourent. Et puis ce maçon illettré, qui vient faire des travaux gratuitement dans la « grotte » où la famille s’est installée, en échange de quelques leçons de lecture et d’écriture, données par le petit Salvador, au bord du premier émoi.

Mais il y a surtout le présent. Et cette présentation d’un film vieux de 30 ans lors d’une rétrospective, à travers laquelle Salvador entrevoit une réconciliation possible avec son acteur principal (Asier Etxeandia). Ce dernier est d’ailleurs fort surpris de ce geste, car les deux hommes ne s’étaient jamais reparlé depuis un tournage apparemment miné par une trop grande présence de dope.

Cet évènement constitue ainsi le point de départ d’une plongée introspective passionnante dans l’esprit d’un artiste aussi rattrapé par ses malaises physiques.

IMAGE FOURNIE PAR MÉTROPOLE FILMS

Douleur et gloire, de Pedro Almodóvar

On évoque le rapport à l’amour (on note cette très belle scène avec un ancien amoureux), le rapport à la mère vieillissante, le rapport au monde, bref, Pedro Almodóvar nous offre un peu ici son 8 ½ en plaçant au cœur de son histoire un cinéaste en panne de création.

Nous ne sommes plus dans la flamboyance des premières années ni dans l’émotion brute de Tout sur ma mère ou Volver. Douleur et gloire épouse un rythme un peu plus lent, moins spectaculaire, mais il émane de cette approche un petit quelque chose d’indéfinissable, qui remue l’âme subtilement. Et qui prouve à quel point Almodóvar reste l’un des plus grands cinéastes contemporains.

Dolor y gloria prend l’affiche aujourd’hui à Montréal en version originale espagnole sous-titrée en français, en version doublée française (sous le titre Douleur et gloire), et en version originale espagnole sous-titrée en anglais (sous le titre Pain and Glory). Il sortira le 1er novembre à Québec et à Sherbrooke, le 8 novembre à Trois-Rivières.

★★★★

Dolor y gloria (V.F. : Douleur et gloire). Une drame de Pedro Almodóvar. Avec Antonio Banderas, Penélope Cruz, Asier Etxeandia. 1 h 53.

> Consultez l’horaire du film : https://ouvoir.ca/2019/dolor-y-gloria