Près d’un an après son lancement au festival de Toronto, The Death and Life of John F. Donovan (Ma vie avec John F. Donovan en version française) prend enfin l’affiche au Québec. Marc Cassivi et Marc-André Lussier discutent du septième long métrage de Xavier Dolan, dont les têtes d’affiche sont Kit Harrington, Jacob Tremblay, Natalie Portman, Susan Sarandon, Kathy Bates et Michael Gambon.

M.-A. Lussier : J’ai eu l’occasion de voir ce film deux fois l’an dernier au festival de Toronto. J’ai alors pu exprimer mon avis. De ton côté, tu viens tout juste de le visionner. J’ai donc envie de lancer la discussion avec cette simple question : Alors ?

Marc Cassivi : Peut-être que c’est le résultat du mauvais accueil que certains lui ont réservé à Toronto, mais j’ai franchement été agréablement surpris ! Comme tu le disais à l’époque, c’est loin d’être la catastrophe annoncée. Je trouve que c’est une brique intéressante dans l’édifice fascinant qu’est la filmographie de Dolan. C’est plus hollywoodien, forcément. Mais pendant près d’une heure, je n’ai pas du tout décroché…

M.-A.L. : Le plus difficile, en fait, est de regarder ce long métrage avec un œil neutre. J’ai eu du mal à faire abstraction du lourd bagage que ce film a traîné avant même la toute première projection : la postproduction interminable, la suppression du personnage de Jessica Chastain, la partie tournée à Prague, apparemment somptueuse, dont il ne reste plus qu’une scène de conversation dans un café entre une journaliste (Thandie Newton) et Rupert Turner, devenu adulte (Ben Schnetzer). Ayant tourné assez de matériel pour faire trois films différents, Xavier Dolan a probablement dû se résigner à se concentrer sur un axe plus dépouillé, en sacrifiant bien des choses. Je trouve que la fluidité du récit en souffre. On a l’impression que le « vrai » film de Dolan doit exister quelque part, mais ce n’est pas celui qu’on nous montre…

M.C. : Au milieu du film, il y a pour moi une rupture de ton. Au moment où le récit bascule pour les deux protagonistes, John et son jeune admirateur, le film prend une autre forme, celle d’un conte ou d’un mélo hollywoodien, plus léché que ce à quoi nous a habitués Dolan. Je sentais moins la vérité qui fait la force de son cinéma, et davantage les mécanismes plus conventionnels du cinéma américain. Sa signature est toujours là, comme ses thèmes de prédilection, mais j’aurais pris plus du Dolan « artisanal » et moins de Hollywood. Ça me semble être une version bridée de son cinéma.

PHOTO SHAYNE LAVERDIÈRE, FOURNIE PAR LES FILMS SÉVILLE

Kit Harington interprète le rôle-titre dans 
The Death and Life of John F. Donovan.

M.-A.L. : Vrai. Les fulgurances auxquelles Dolan nous a habitués n’y sont pas. Un peu comme s’il avait retenu ses élans afin d’offrir un film plus classique, plus consensuel, même s’il emprunte la même structure que celle de Laurence Anyways. Du coup, le spectateur est tenu à distance d’une histoire où l’émotion se fait plus rare. Et puis, avec une distribution aussi imposante et autant de personnages, le récit a du mal à s’ancrer solidement quelque part. L’axe principal est celui du jeune Rupert et de sa mère (Natalie Portman), mais force est d’admettre que le personnage que joue Jacob Tremblay est, parfois, à la limite du supportable. Susan Sarandon, qui a hérité du personnage le plus « dolanien » du lot (elle incarne la mère de John), a finalement peu l’occasion de se faire valoir, tout comme Kathy Bates, qui joue l’agente de la vedette. Et quelle étrange scène que celle où Michael Gambon vient philosopher dans la cuisine d’un restaurant ! Qu’en as-tu compris ?

M.C. : J’y ai vu un hommage à Harry Potter, dont Dolan est un fan (et dont il a doublé un personnage : Ron Weasley). C’est Dumbledore qui surgit comme un spectre — et un peu comme un cheveu sur la soupe ! Il y a beaucoup de clins d’œil autobiographiques dans le film. Jusqu’au jeune acteur devenu grand qui se ronge les ongles comme Dolan. Il y a aussi de beaux numéros d’acteurs. Ils sont tous très bons… à l’exception, malheureusement, de Jacob Tremblay, qui joue dans un registre différent. Comme s’il jouait dans un film pour enfants. Même la musique qui accompagne ses scènes donne cette impression. Comme toi, j’aurais aimé que les relations mère-fils soient un peu plus approfondies. Dolan a le don d’exploiter ce filon-là. J’en aurais pris plus !

M.-A.L. : Oui, Rupert est un fan très actif, comme l’était Dolan lui-même dans son enfance. Il y a quand même une réflexion intéressante sur la célébrité, de même que sur la dualité d’un système qui peut à la fois faire monter un individu au sommet pour mieux le broyer ensuite. À mes yeux, The Death and Life of John F. Donovan n’est certes pas le meilleur film de Dolan (comme l’ont affirmé certains médias français), mais il ne méritait certainement pas non plus la hargne que la presse anglophone lui a réservée lors de son lancement à Toronto. J’espère même voir un jour la version intégrale de ce film, si tant est que Xavier Dolan ait envie d’y revenir un moment donné !

M.C. : Je suis d’accord avec toi. La prémisse est très intéressante, les échos à la propre histoire de Dolan (et sa lettre restée sans réponse à Leonardo DiCaprio) aussi, comme la réflexion sur le poids de la célébrité. On est au-delà des simples clichés. Il y a des images fortes, c’est très soigné, mais comme toi, j’adorerais voir un jour une version plus éclatée du film. Je l’ai trouvé trop sage.

Synopsis

À Prague, en 2017, un acteur raconte à une journaliste la relation épistolaire qu’il a entretenue au cours de ses années d’enfance avec John F. Donovan, vedette de l’une de ses séries favorites à la télévision. Ce dernier, incapable de faire face aux attaques de la presse à potins et aux rumeurs de toutes sortes entourant sa vie privée, s’est suicidé en 2006.

À l’affiche en version originale anglaise, en version originale avec sous-titres français, ainsi qu’en version doublée en français.

★★★

The Death and Life of John F. Donovan. Drame de Xavier Dolan. Avec Kit Harrington, Natalie Portman, Jacob Tremblay. 2 h 03.

> Consultez l’horaire du film : https://ouvoir.ca/2018/the-death-and-life-of-john-f-donovan