Il y a 35 ans, le grand John Cassavetes a proposé Love Streams, un film remarquable, construit autour d’une relation fusionnelle entre frère et sœur. Ce thème, rarement exploré, se trouve au cœur du récit de La femme de mon frère, le premier long métrage – vraiment enthousiasmant – de Monia Chokri.

La manière est différente, bien sûr, tout comme le ton. Mais on y trouve ce même lien indéfectible entre deux êtres qui se savent indispensables l’un à l’autre, pour le meilleur et pour le pire, sans qu’il y ait pourtant jamais rien d’équivoque entre eux. Autour de ce couple fraternel, la réalisatrice a dessiné un univers très riche, lequel lui donne l’occasion d’aborder aussi plusieurs autres thèmes. En faisant rire, souvent.

Quand on la rencontre pour la première fois, Sophia (Anne-Élisabeth Bossé) se fait refuser le poste qu’elle convoite à l’université, par un comité formé de personnages ayant mal vieilli qui, plus jeunes, n’auraient sans doute pas juré dans le décor du Déclin de l’empire américain. Cette doctorante de 35 ans, qui fait partie du 1 % ayant atteint ce plus haut niveau du savoir, se retrouve ainsi sans le sou, et sans la moindre perspective d’emploi pouvant faire honneur à ses qualifications.

Sophia, verbomotrice à la langue bien pendue, se réfugie ainsi chez son frère Karim (Patrick Hivon), un séducteur-né, assez sûr de lui-même pour « oser le col roulé ». La dynamique particulière liant ces deux êtres issus d’une famille gauchiste et militante sera bousculée le jour où le frangin, psychiatre de profession, tombera amoureux d’Éloïse (Evelyne Brochu), la gynécologue de Sophia.

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La femme de mon frère, un film de Monia Chokri

Bourré de belles trouvailles

À la fois léger et profond, La femme de mon frère se distingue grâce à la façon dont la réalisatrice, qui signe aussi son scénario « autofictif », aborde le parcours de cette femme tentant de trouver sa place dans un monde qui ne semble pas en mesure de lui en offrir une. Il y a d’abord les dialogues, vifs, corrosifs, souvent très drôles, livrés avec panache. Sans insister, parce que ça fait tout simplement partie de la vie, on parle d’avortement, d’immigration, de relations familiales, de l’absence de désir de maternité, de vie sociale et amoureuse.

Et puis, il y a la manière. Sur le plan de la mise en scène, La femme de mon frère est truffé de jolis traits et de belles trouvailles. Mentions d’usage ici à Josée Deshaies à la direction photo et à Éric Barbeau à la direction artistique.

C’est la clinique d’avortement moitié bleue et moitié rose. C’est Karim qui, en discutant avec sa sœur en faisant du patin sur glace, esquisse un semblant d’arabesque plus loin dans le champ. C’est un party où l’on danse à peu près aussi bizarrement qu’a pu le faire Elaine dans Seinfeld il y a si longtemps. C’est un vieux serveur italien en pâmoison devant la bellissima Éloïse.

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Anne-Élisabeth Bossé dans La femme de mon frère

C’est aussi une trame musicale foisonnante où se côtoient chansons pop (irrésistible Un jeune homme bien de Petula Clark) et pièces classiques. Ce sont ces notes d’Olivier Alary qui viennent ponctuellement apaiser le tumulte intérieur explosif de la protagoniste et le chaos qu’il provoque. C’est cette scène tendre où la fille se réfugie dans les bras de son père en lui demandant comment on fait pour survivre le jour où l’on constate l’impasse de ses idéaux. C’est cette poésie qui imprègne certains moments, jusqu’à la très belle scène finale, sereine, dans laquelle la réalité vient se mêler à la fiction.

Anne-Élisabeth Bossé, qui est de tous les plans, offre ici une composition époustouflante en se glissant dans la peau d’une femme emblématique de son époque, avec sa vérité et ses contradictions. Face à elle, Patrick Hivon est magnifique, comme l’est aussi Evelyne Brochu. Tous les personnages, à vrai dire, ont beaucoup d’étoffe, notamment les parents (Micheline Bernard et Sasson Gabai), l’amie (Magalie Lépine-Blondeau), le prétendant maladroit (Mani Soleymanlou) ou le séducteur de passage (Niels Schneider) devant lequel on ne peut faire autre chose que sourire béatement et rire nerveusement.

Il y a des jump cuts, des effets de montage, une communauté d’esprit évidente avec le cinéma d’un certain Xavier Dolan. Tout n’est pas parfait – on aurait sans doute pu resserrer un peu –, mais ce film plein de charme, qui fait du bien, laisse assurément entrevoir pour Monia Chokri une carrière de cinéaste passionnante.

★★★★

La femme de mon frère. Une comédie dramatique de Monia Chokri. Avec Anne-Élisabeth Bossé, Patrick Hivon, Evelyne Brochu. 1 h 57

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