Après The Hurt Locker et Zero Dark Thirty, Kathryn Bigelow nous entraîne dans une autre zone de guerre, encore plus troublante pour le spectateur du fait de sa proximité. Même si les événements auxquels elle fait écho se sont déroulés il y a 50 ans, l'effet de miroir jette sur notre époque un reflet férocement actuel. Et douloureux.

Faisant équipe pour une troisième fois avec le scénariste Mark Boal, ancien journaliste, la cinéaste propose une fiction documentée en reconstituant un épisode particulièrement tragique, survenu à Detroit pendant les émeutes de l'été 1967.

Après une présentation succincte en animation relatant l'histoire des Noirs aux États-Unis, la réalisatrice fait écho aux éléments déclencheurs des émeutes qui, pendant cinq jours, ont pratiquement mis la Motor City à feu et à sang.

Il y a d'abord cette descente policière dans une boîte clandestine où de jeunes Afro-Américains s'étaient réunis pour célébrer le retour de deux soldats, vétérans de l'armée américaine. Les arrestations violentes et arbitraires ayant été menées au vu et au su de tous, les habitants du quartier ont vite fait exploser leur colère.



Vu de l'intérieur

L'événement principal autour duquel le scénario a été construit a toutefois eu lieu deux jours plus tard, à l'Algiers Motel. Ce jour-là, un apprenti chanteur (Algee Smith) est allé faire la fête à cet endroit avec des copains, car les émeutes avaient causé l'annulation du spectacle qu'il devait offrir au Fox Theatre avec son groupe. En compagnie de deux amies blanches venues de l'Ohio, rencontrées par hasard, le jeune homme se retrouve alors coincé dans un imbroglio insoutenable. Un fêtard ayant tiré à la blague une balle à blanc d'un faux pistolet, les forces de l'ordre se retrouvent à encercler rapidement le motel de passe et forcent tous les occupants à évacuer les lieux, sauf le joyeux groupe. 

Un jeune policier blanc (Will Poulter, excellent dans un rôle ingrat) prend alors les choses en main en utilisant des méthodes révoltantes. Les suspects sont rudoyés, violentés et font l'objet de cruauté psychologique et d'éructations verbales racistes. Le simple dégoût que lui inspire la perspective d'une liaison entre une femme blanche et un homme noir en dit déjà long sur son état d'esprit. Un gardien de sécurité noir est sur les lieux pour tenter de tempérer les choses mais sa position délicate, fort bien traduite par John Boyega, pourra difficilement jouer en sa faveur. 

Kathryn Bigelow s'attarde longuement à faire vivre cet épisode de l'intérieur, dont le dénouement, on s'en doute, a été aussi choquant que brutal. 

Un peu comme l'a fait Christopher Nolan avec Dunkirk, la cinéaste filme en état d'urgence et propose ici une expérience immersive, dénuée de tout psychologisme. Nous sommes dans le «ici, maintenant». 

Le dernier acte de Detroit est par ailleurs consacré au procès de trois policiers, traduits en justice à cause de leurs dérapages meurtriers, devant un jury constitué uniquement de personnes blanches.

Un portrait implacable

Plutôt qu'un brûlot anti-policier (ce qu'il aurait facilement pu être), Detroit trace avant tout un portrait implacable d'une société qui, il y a 50 ans, était gangrenée par un racisme systémique. Ce film puissant interpelle assurément cette société de la même façon un demi-siècle plus tard. Évidemment, Detroit risque d'être encensé ou décrié aux États-Unis selon le côté de la fracture politique où l'on loge, mais il n'empêche qu'une fois de plus, Kathryn Bigelow a eu le courage d'aller gratter là où ça fait mal, en offrant au monde un film aussi dur que nécessaire.

Detroit. Drame de Kathryn Bigelow. Avec John Boyega, Will Poulter et Algee Smith. 2h23.

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Image fournie par la production

Detroit