La toute première projection de Toni Erdmann au Festival de Cannes l'an dernier, alors que personne ne savait pratiquement rien de ce film, a été marquée par une salve d'applaudissements spontanée et bien nourrie de la part des journalistes, au beau milieu de la projection.

Même s'il était déjà survenu deux ans plus tôt, quand Antoine Olivier Pilon élargissait de ses mains le cadre étouffant de Mommy, ce phénomène reste plutôt rare. Dans ce cas-ci, il illustrait bien l'enthousiasme général suscité auprès des festivaliers par cette comédie allemande, mystérieusement écartée du palmarès officiel, établi par un jury présidé par George Miller.

La réalisatrice Maren Ade, dont les films précédents sont encore peu connus sur le circuit international (Everyone Else lui a valu le Grand Prix du jury au Festival de Berlin en 2009, cela dit), a frappé dans le mille en maîtrisant cet exercice de haute voltige. Là se situe d'ailleurs le tour de force de cette franche comédie qui, au départ, ne devait pas vraiment en être une. Même en amenant son récit aux frontières de l'absurde, la cinéaste garde le cap et parvient à aborder sérieusement des thèmes importants, tant dans la sphère géopolitique que du côté de l'intime.

Inès, le personnage qu'incarne avec brio la comédienne Sandra Hüller, est d'ailleurs emblématique à cet égard. Cette trentenaire a quitté son Allemagne natale pour devenir consultante dans une grande entreprise à Bucarest, en Roumanie. Cette jeune femme de carrière, qui, on s'en doute, a dû faire le sacrifice de bien des choses sur le plan personnel, représente ainsi le nouveau dynamisme européen, celui qu'apporte, croit-on, le système capitaliste dans les pays anciennement communistes.

Un traitement de choc

Le monde hyper organisé d'Inès commence toutefois à se fissurer le jour où débarque à l'improviste chez elle Winfried, son père excentrique, vieux farceur un peu délinquant, qui estime que sa fille est devenue beaucoup trop sage à son goût. Délicieusement interprété par Peter Simonischek, un acteur autrichien surtout reconnu au théâtre dans les pays germaniques, ce personnage haut en couleur aura tôt fait de s'inventer un alter ego - le Toni Erdmann du titre - qui lui permettra toutes les fantaisies.

Pour faire subir une espèce de traitement de choc à sa fille, Winfried n'hésitera pas à s'immiscer dans le cercle professionnel et social de cette dernière, quitte à provoquer parfois - souvent, à vrai dire - des situations pour le moins gênantes. 

Maren Ade expose ainsi la complexité d'une relation père-fille de façon originale, en utilisant l'humour et la tendresse, sans toutefois tomber dans les excès de sentimentalisme.

La dernière heure de Toni Erdmann est particulièrement jubilatoire. Et ponctuée d'au moins deux scènes d'anthologie, dont nous tairons la nature ici afin de préserver l'effet de surprise. Pour en arriver là, la montée est un peu longue (le film dure 172 minutes), mais la patience du spectateur est ici bien récompensée.

Rappelons que même sans laurier cannois, ce film a eu l'occasion de glaner plusieurs prix avant d'arriver jusqu'à nous. En plus de la Louve d'or du Festival du nouveau cinéma de Montréal, cette comédie a notamment obtenu le prix du meilleur film aux European Film Awards. Toni Erdmann est aussi finaliste aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère.

* * * *

Toni Erdmann. Comédie de Maren Ade. Avec Peter Simonischek, Sandra Hüller, Michael Wittenborn. 2h42.

> Consultez l'horaire du film

image fournie par Métropole Films

Toni Erdmann, de Maren Ade