La réalisation de Skeleton Tree, 16e album de Nick Cave flanqué de ses Bad Seeds, avait été marquée par un deuil et en avait bouleversé les dernières étapes: le chanteur devait composer avec l'immense douleur subie après l'accident fatal de son fils Arthur, qui est tombé d'une falaise à Brighton, non loin du domicile familial.

En septembre dernier, on a porté aux nues Skeleton Tree, dont le chantier a dû être repris après la catastrophe. Plutôt que de battre en retraite et vivre son deuil terré auprès des siens, Nick Cave a pris la décision d'en émerger et d'ainsi transformer ce mal incurable en matériau de création. Skeleton Tree en représente la forme magnifiée, ce film superbe en témoigne tout autant.

Malgré ses ambiances funèbres, One More Time with Feeling peut être perçu comme le prolongement d'un autre excellent documentaire sur le chanteur, auteur et compositeur, sorti il y a deux ans - 20 000 Days on Earth, réalisé par les Londoniens Iain Forsyth et Jane Pollard.

Plus léché que le film précédent, bien que sobrement construit, le film d'Andrew Dominik (Chopper, Killing Them Softly) nous plonge de nouveau au coeur du processus de création façon Nick Cave, cette fois dans la tourmente d'un deuil familial qui nous permet d'observer et de ressentir non seulement le renforcement des liens entre le chanteur, sa femme Susie et Earl, jumeau de son fils défunt, mais encore entre ses proches collaborateurs et lui.

Le cinéaste australien avait pour projet initial de construire autour des performances de Nick Cave devant public; la tournure des événements l'a mené à filmer les dernières séances d'enregistrement de Skeleton Tree. Dans ce contexte ténébreux, il a choisi de tourner en noir et blanc sauf un court moment. Il a aussi opté pour un traitement 3D (qu'il alterne avec le 2D), ce qui est en soi inusité pour un film tourné presque exclusivement sans couleur.

Qui plus est, Andrew Dominik a réussi l'exploit d'éviter tout voyeurisme larmoyant. On y observe un Nick Cave meurtri, endeuillé, néanmoins debout devant l'épreuve qu'il doit traverser. 

On s'imprègne de sa douleur et de sa fragilité, on devine que la plaie ne se refermera jamais, qu'il devra vivre avec cette blessure jusqu'à sa propre mort.

En voix hors champ ou encore interviewé par le cinéaste, l'artiste dévoile ses états d'âme, revient sur cette mort absurde, sur les dommages collatéraux de cette perte sur lui-même en tant qu'artiste quinquagénaire usé par l'existence, personnage public, mortel parmi les mortels. Il souligne aussi l'incidence de cette tragédie sur son oeuvre subséquente.

En toute lucidité, Nick Cave revient sur la tension entre le désir profond des humains de coller un sens à l'existence et la désintégration toujours possible de ce sens souhaité. Il réfléchit sur sa démarche d'auteur, affirmant entre autres ne plus croire au récit dans son approche chansonnière et préconisant plutôt des fragments de récit au service de formes modelées par la destinée. 

L'artiste à l'oeuvre

Ce film est aussi l'occasion de voir l'artiste à l'oeuvre. On assiste à plusieurs performances en studio, la caméra tourne autour du piano et de son interprète à fleur de peau, se transporte du côté des cordes, des percussions, témoigne de la grande complicité entre Nick Cave et son équipe. Bien sûr, on se demande comment il parvient à traverser aussi magistralement ces brumes épaisses.

On y observe aussi le talent extraordinaire de son acolyte et ami Warren Ellis, coresponsable (avec Nick Launey et lui-même) de cette production, magnifique catharsis post-mortem que s'avère Skeleton Tree. Tous les musiciens impliqués, Bad Seeds et collaborateurs invités (cordes, chant, etc.), participent à ces séances extraordinaires où la beauté jaillit des ténèbres.

« There is more paradise in hell that what we've been told...»

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One More Time With Feeling. Documentaire musical d'Andrew Dominik. Avec Nick Cave, The Bad Seeds et ses proches. 1h50.

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Image fournie par Picture House Entertainment

One More Time with Feeling