Moi, Nojoom, 10 ans, divorcée fait partie de ces films auxquels on peut facilement pardonner leurs maladresses cinématographiques. Pas seulement parce que le drame biographique dénonce de façon explicite les mariages forcés de petites filles à des hommes qui pourraient être leurs pères. Mais aussi parce qu'il pose sur le phénomène un regard nuancé, sans l'excuser.

Le long métrage de Khadija Al-Salami est à peine une fiction. La réalisatrice a transposé le récit de Nojoom Ali, publié en 2009, qu'elle a bonifié, si on peut dire, de faits et situations puisés à même sa propre histoire. Celle d'une fillette vendue par sa famille à un étranger - une tradition tribale qui persiste au Yémen.

Moi, Nojoom... s'ouvre sur une course-poursuite saugrenue dans les rues de Sanaa. Nojoom (Reham Mohammed) fuit un homme jusqu'à un tribunal où elle présente à un juge une requête inusitée: elle veut divorcer!

Interloqué, le juge compatissant écoute son récit, en forme d'un long retour en arrière parsemé d'ellipses. D'abord, son enfance relativement heureuse dans un petit village des montagnes yéménites, superbement filmées, avec des paysages à couper le souffle. Ensuite son déménagement dans la capitale où son père la vend à un homme de 20 ans son aîné. Puis son calvaire subséquent - Nojoom est battue et violée - auprès d'un abruti qui mâche du khat et d'une belle-mère qui s'en sert comme bonne à tout faire.

Juste avant, la réalisatrice présente une séquence-choc pour démontrer à quel point la fillette de 10 ans n'est pas prête psychologiquement et physiquement. Alors qu'on la pousse dans une voiture vers son mariage, avec sa robe et son maquillage, elle tient obstinément sa poupée... Pas subtil, mais efficace.

La cinéaste a eu l'habileté de présenter le point de vue de Nojoom pendant la première heure. Le procès subséquent va lui permettre de dévoiler certains éléments qui font mieux comprendre la situation, sans pour autant la rendre plus acceptable. 

Le film dénonce l'ignorance et la tradition qui permettent de perpétuer cette horreur qu'est le mariage arrangé - «un viol encouragé», comme dit la cinéaste.

Moi, Nojoom... n'est pas sans rappeler Wadjda d'Haifaa Al-Mansour (2013), tourné en Arabie saoudite. La dénonciation y est beaucoup plus directe, mais l'approche est la même, mélange d'approche documentaire (Khadija Al-Salami en a réalisé plusieurs), presque ethnographique, et de néoréalisme italien. Quoique dans ce dernier cas, le manque de ressources ait imposé ce tournage dans des décors et lumières naturels, souvent en extérieurs. La production a dû aussi compter sur des acteurs amateurs - le cinéma n'existe pas au Yémen.

À ce propos, la petite Reham Mohammed est d'un naturel saisissant, qui renforce la véracité du récit - ce qui n'est pas le cas de tous les acteurs. On passe aussi sur de petites exagérations scénaristiques, surtout celles impliquant son frère (dont le cas, aussi révoltant, est un peu trop occulté).

Moi, Nojoom, 10 ans, divorcée est un film dur, révoltant, qui nous force à voir la réalité en face. Khadija Al-Salami ne met pas de gants blancs mais elle ne se complaît pas non plus dans les séquences plus difficiles, abordées avec délicatesse. Un film à voir. Ne serait-ce que pour constater que le phénomène existe encore et toujours, en 2016.

Moi, Nojoom, 10 ans, divorcée est présenté en version arabe avec sous-titres français.

* * *

Moi, Nojoom, 10 ans, divorcée. Drame biographique de Khadija Al-Salami. Avec Reham Mohammed, Ibrahim Al Ashmori, Sawadi Al Kainai. 1h36.

> Consultez l'horaire du film