Comment montrer l'innommable? Représenter à l'écran ce qui ne doit pas être vu? De quelle façon peut-on illustrer l'horreur des camps de la mort? Ces questions légitimes ont guidé pendant plus de cinq ans la démarche artistique du réalisateur hongrois László Nemes, qui offre un regard neuf sur l'Holocauste avec Saul Fia.

Cette première oeuvre forte et bouleversante, dont on ne sort pas indemne, se révèle particulièrement réussie par sa capacité à évoquer au lieu de montrer. Le jeune cinéaste de 38 ans, qui a reçu le Grand Prix du jury à Cannes, ne laisse aucun répit au spectateur pendant près de deux heures, avec une bande sonore dense et oppressante et une utilisation judicieuse du hors-champ et de la profondeur de champ.

Le film s'ouvre d'ailleurs alors que des gens déambulent dans une image volontairement floue. Un personnage s'approche du cadre, y entre. On le suivra tout au long du film, puisque le cinéaste adopte son point de vue, le traque avec sa caméra à l'épaule dans ses moindres faits et gestes et le filme à hauteur de personnage (souvent de dos, avec son X rouge) au moyen d'efficaces plans-séquences. Il s'agit de Saul Ausländer (Géza Röhrig, au jeu tout en retenue), membre d'un Sonderkommando. Ce groupe de détenus juifs en sursis travaillant pour les nazis est chargé de conduire les prisonniers d'Auschwitz vers la chambre à gaz. On leur demande ensuite d'accomplir la sale besogne: évacuer les cadavres des gazés, les brûler et jeter leurs cendres dans la rivière.

Format restreint

Travaillant sans relâche pour ses bourreaux pendant qu'une révolte se prépare, Saul croit reconnaître dans l'amas de corps celui d'un jeune garçon, son fils. Alors que sa vie ne tient qu'à un fil, Saul retrouve un certain sens en l'existence en tentant d'offrir à l'enfant un lieu où son corps reposera.

On l'a dit plus haut, Saul Fia est un film-choc. L'ancien assistant de Béla Tarr a choisi de tourner en pellicule dans un format restreint avec des éclairages faibles afin de contraindre le regard du spectateur.

Le résultat est réussi. La caméra nous fait pénétrer au coeur de cet enfer sombre et étouffant où le bruit assourdissant est constant.

D'ailleurs, le travail sur la bande sonore est considérable, particulièrement lors de cette scène devant la chambre à gaz où les gens cognent désespérément à la porte. Nul besoin de voir les images: le fracas des condamnés suffit à nourrir l'imaginaire. Et que dire du regard très évocateur de Géza Röhrig (aussi écrivain et poète), qui tient ici un premier rôle marquant au cinéma. L'intensité de ce regard et sa façon de se mouvoir tout doucement guident le spectateur dans l'antre de la mort.

Film essentiel s'il en est, Saul Fia fait partie de ces oeuvres qui laissent pantois et dont les images et surtout les sons resteront gravés dans les mémoires. À voir absolument.

Saul Fia prend l'affiche aujourd'hui, en version hongroise avec sous-titres français et anglais.

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DRAME. Saul Fia (V.F.: Le fils de Saul). De László Nemes. Avec Géza Röhrig
. 1h47.

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Photo fournie par Sony Pictures

Le fils de Saul