Le paradoxe n'a rien à voir avec le film lui-même, mais il est trop drôle pour ne pas être mentionné : c'est FunFilm qui distribue le long métrage cru, violent et froid qu'est Flandres de Bruno Dumont (Grand Prix du jury à Cannes l'an dernier, tout comme l'avait été l'inhumain L'humanité en 1999). Enfin, trêve de superficialité et plongeons dans le vif du sujet comme le couteau dans la plaie.

Le réalisateur de La vie de Jésus nous entraîne chez lui, dans les Flandres. Là, dans sa ferme, vit Demester, le fermier frustre qui partage son temps entre ses champs, ses bêtes et son amie d'enfance, Barbe, qu'il baise de temps en temps, avec moins de tendresse qu'un taureau montant la génisse. Enfin, elle ne s'en plaint pas (la fille, pas la vache). Ce qui ne l'empêche pas de prendre un amant, Blondel. Il semble faire mieux les choses... oups, la chose, si l'on se fie aux cris que pousse la demoiselle lors de leur premier... contact.

Là, coupure. Les gars du village sont envoyés au front. Pions dans un conflit non identifié qui pourrait être celui de l'Algérie d'hier, de l'Irak d'aujourd'hui ou d'on-trouvera-bien-quelque-part de demain. Des images dans lesquelles sonnent l'écho de Full Metal Jacket de Kubrick. L'incompréhension des manouvres. La folie qui fond sur les hommes démunis lorsque les bombes leur tombent sur la tête comme autant de fins du monde. Parce que l'ami vient de recevoir une balle dans la tête. Parce que l'ennemi s'avère être un enfant. Parce que rien n'a plus de sens.

Pendant ce temps au pays, Barbe, enceinte, s'enfonce dans la dépression puis dans la folie tandis que son ventre s'arrondit. Paraît que sa mère avait aussi disjoncté. Ceci expliquerait cela.

Bruno Dumont filme à la manière d'un virtuose de la nature morte. Avec un réalisme implacable, une froideur sauvage. Sans juger, sans volonté d'émouvoir, avec une neutralité sans faille. C'est son but. Il l'atteint. Et dans un premier temps, on se surprend à adhérer à sa proposition. Jusqu'à ce qu'il trébuche. Un nuage de complaisance teinte alors son propos. Sa réflexion percutante et choquante sur la guerre et les effets de la guerre.

Rien, à partir de là, n'est épargné au spectateur. Et que je te viole, et que je te châtre, et que je t'explose, et que je t'enfonce la tête dans la folie comme dans un seau de merde. Ce film qui ne voulait pas être aimé (pourquoi pas?), défendu par des acteurs non professionnels qui jouent comme tels, devient alors détestable et oppressant. Ne laissant aucune place à celui qui regarde. Le tenant à distance. Par le cou. C'est pour mieux t'étrangler, mon enfant.

Flandres
Drame de Bruno Dumont. Avec Samuel Boidin, Adélaïde Leroux, Henri Gretel.


** 1/2