Les documentaristes rigoureux et bien élevés considèrent probablement, et sans doute avec juste raison, les films de Michael Moore comme autant de pamphlets un peu fantaisistes, et Moore lui-même comme un «manipulateur» de génie doublé d'un as du montage. Le spectateur intelligent n'est pas dupe non plus. De Roger & Me jusqu'à Fahrenheit 9/11, Moore force toujours la note, grossit les traits et beurre épais afin de passer ses messages, tous louables, ses points de vue facilement défendables et ses opinions largement partagées.

En trichant un peu, beaucoup et peut-être même passionnément, Moore est devenu, par la qualité, la force et la popularité de ses «documentaires» une véritable symbole de la gauche modérée. Il ne se présente pas comme un intellectuel mais au contraire comme un «gars ordinaire»; l'américain moyen politiquement engagé qui aurait réfléchi à tous les enjeux auxquels doit faire face son pays, et par extension l'Occident. Michael Moore est une sorte de héros, et même ses détracteurs admettront que le bonhomme a un fort charisme, que ses vues sont valables et que ses films sont objectivement, de forme, assez bien ficelés.

Mais sous sa casquette de camionneur et sous ses airs débonnaires se trouve un type qu'on devine supérieurement intelligent et, surtout, excessivement ambitieux, donc prêt à quelques tours de passe-passe pour en venir à ses fins. C'est du moins où veut en venir le documentaire canadien Manufacturing Dissent, lequel brosse le portrait non pas d'un «salaud» (comme on aurait pu s'y attendre) mais d'un homme étonnamment avare de sa personne et très difficile à joindre. Que les adulateurs de M. Moore se rassurent, il ne s'agit pas ici d'une mise en boîte mais d'une remise en question: jusqu'où peut-on aller pour défendre une cause, aussi noble soit-elle?

Dans Roger & Me, Michael Moore tâchait péniblement d'obtenir un entretient avec le PDG de General Motors. Or, dans la vraie vie, Roger Smith s'est prêté avec Moore au jeu de l'entrevue. Cela, on le sait depuis la parution d'un article à ce sujet dans le magazine Premiere. Mais, étonnamment, les amateurs du cinéaste n'ont pas fait grand cas de cette honteuse supercherie. Ce n'est pas grave, la cause est bonne, doivent-ils penser. À en croire le travail des documentaristes Debbie Melnyk et Rick Caine, des intellos de gauche, toute l'oeuvre de Moore serait, ici et là, légèrement corrompue par des entourloupettes et des petits mensonges. Au bout du compte, on doit comprendre que Michael Moore, l'homme qui défonce des portes, est, à la ville, un personnage imbu de lui-même, mégalo sur les bords, et peut-être saoulé d'une gloire mal assumée.

Brouillon, hésitant, plus ou moins convaincant dans la démonstration, Manufacturing Dissent, dont le titre se réfère évidemment à l'oeuvre de Noam Chomsky, n'est pas nécessairement un bon documentaire mais un essai intéressant et pertinent. Pendant une heure, on a la désagréable impression que Melnyk et Caine cherchent des poux à leur «victime» (Michael Moore est-il gentil dans la vie? Était-il un étudiant jovial? Vient-il d'un milieu aisé? Cela est futile). Une scène, très dure, justifie à elle seule l'existence de ce petit film qui pourrait passer pour un étrange règlement de comptes: le cameraman et Debbie Melnyk, une dame parfaitement calme et charmante, sont bousculés par les agents de sécurité puis apostrophés par une relationniste lors d'une conférence de Moore. La caméra tombe par terre mais la conversation est enregistrée.

Qui aurait pensé que Moore, l'ami du «vrai monde», était aussi inaccessible qu'une star internationale? Question réponse: il est une star, pour ne pas dire un gourou. En somme, Manufacturing Dissent pose, de façon parfois maladroite, le problème de la suprématie de l'image.

MICHAEL MOORE: MANUFACTURING (...)

(V.F: MICHAEL MOORE: ANGE OU DÉMON?)

Documentaire de Debbie Melnyk et Rick Caine.

Le «côté obscure » du cinéaste Michael Moore.

Documentaire plus ou moins convaincant mais très pertinent.

***