Valparaiso, Chili, un jour d'été. L'Esmeralda, surnommée aussi la dame blanche, arrive au port. Sous les applaudissements. Et sous les sifflets. Le somptueux navire-école chilien suscite l'admiration chez les uns. La douleur et la colère chez ceux, qui, en 1973, y ont séjourné.

Dans la panique des premiers jours du coup d'État de Pinochet, le 11 septembre 1973, 170 personnes sont jetées dans les cales du navire. Pendant 12 jours, elles seront battues et torturées, comme le maire de Valparaiso alors en exercice, Sergio Vuskovic Rojo. Violées et torturées, comme Maria Eliana Comené Hidalgo, alors étudiante. Torturées à mort, enterrées on ne sait où, comme le père Miguel.

Pour Sergio, Maria Eliana et Patricia Bennetts, la soeur de Miguel, la vie s'est arrêtée quelque part, dans la journée de ce 11 septembre. Face à la douleur, face à l'insoutenable, on peut s'enfuir mentalement, comme l'a fait Sergio, professeur de philosophie. On peut réclamer justice, et réparation pour le vol de son avenir, comme le demande Maria Eliana. On peut, enfin, pour entamer un deuil impossible, chercher à comprendre, chercher à se recueillir sur une tombe, comme le réclame Patricia Bennetts.

De leurs emprisonnements, c'est celui à bord de l'Esmeralda qui réveille les souvenirs les plus douloureux chez les personnages du film. Parce que les marins ont pratiqué la torture dans l'un des symboles les plus célèbres du Chili.

Mais aussi parce que, 30 ans après les faits, la justice n'a toujours pas pu exiger de la marine chilienne qu'elle fasse la lumière sur les heures les plus sombres de son histoire. Les autorités de la marine chilienne continuent de réfuter, avec un entêtement presque cynique, les accusations de torture. Quand elles ne s'opposent pas, purement et simplement, à livrer des informations, des noms, des renseignements.

Pour le réalisateur Patricio Henriquez, le Chili ne s'est pas encore libéré de ses 17 années de dictature. Trente ans après le 11 septembre, les victimes de la dictature doivent continuer à s'égosiller sur des places vides, et organiser des manifestations quand arrive l'Esmeralda pour rappeler à la majorité silencieuse qu'elles existent.

On peut ressentir la douleur des victimes, en écoutant leurs récits et la description précise et détaillée des violences qui leur ont été faites durant la première partie du documentaire. On comprend la révolte et l'indignation quand le documentariste suit ses personnages dans leur vaine lutte contre l'oubli et l'impunité.

Après 11 septembre 1973, le dernier combat de Salvador Allende (1998) et Images d'une dictature (2000), Patricio Henriquez boucle, avec la parole des victimes, ce qui pourrait former une trilogie sur le Chili. Le réalisateur, profondément humain si ce n'est engagé, espère grâce à ce documentaire susciter des interrogations sur des tortures, celles commises au nom d'un autre 11 septembre.

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* * * 1/2

Le côté obscur de la Dame Blanche, Documentaire de Patricio Henriquez.

La dame blanche n'est pas qu'une des merveilles chiliennes. Dans ce voilier, ont été emprisonnés et torturés plusieurs dizaines de personnes dans les premiers jours du coup d'État.

Patricio Henriquez filme la lutte contre l'oubli des survivants de la dame blanche avec pudeur. Un film plus que jamais d'actualité, au lendemain de la mort du dictateur Augusto Pinochet.