Au panthéon des figures mythiques américaines qui auront droit à leur chapitre dans l'éventuel dictionnaire historique du folklore post-industriel des États-Unis, entre Rambo et Superman, il faudra bien ajouter Rocky, parfaite personnification de la quête (et de la réalisation) du Rêve américain.

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Même l'élite cinéphile, généralement allergique au quétaine et au cliché, conviendra avec nous que Rocky, le premier film de la série, écrit par Sylvester Stallone et réalisé par John G. Avildsen, fut et demeurera un incontournable monument du cinéma populaire. De l'émotion, du divertissement, de la «philosophie de la rue» facilement accessible et immédiatement applicable, un peu d'humour, Rocky proposait tout cela.

Plus futé qu'il y paraît, Stallone connaît, comprend et maîtrise parfaitement la puissance d'évocation de son personnage dans ce nouveau Rocky Balboa, qui boucle la boucle d'honorable manière, et qui fait oublier les bourdes que furent les Rocky 3, 4, et 5.

Il ne s'agit en aucune façon d'un grand film, et on ne verra pas Stallone empoigner l'Oscar de la meilleure réalisation. Mais son Rocky Balboa, étonnamment, et même s'il impose le sempiternel message mille fois remâché «quand tu veux, tu peux», surpasse en qualité et en raffinement l'immense majorité des films du genre.

On retrouve ici notre boxeur vieillissant, moralement atteint par la mort de sa femme mais toujours en bonne forme, resté humble et modeste malgré les prix et les trophées, tels ces sportifs sous-payés d'une époque révolue qui, après la retraite, choisissent une vie pépère et tranquille (façon Maurice Richard).

Entre deux visites au cimetière où, penché sur la tombe de sa défunte Adrian, il médite sur l'innommable ou Dieu sait quoi, Rocky traîne son spleen au restaurant dont il est propriétaire (le Adrian's, justement), raconte inlassablement aux clients intéressés ses exploits passés et s'occupe du bien-être de ses employés. Stallone nous présente ici un Rocky mélancolique, endeuillé, donc profondément blessé, mais résilient, et encore prêt à grimper sur le ring...

Suivant les bons conseils d'une nouvelle amie, et pour épater son fils distant, Rocky accepte un défi impossible: combattre le pugiliste-vedette du moment, un jeune Noir surdoué (interprété par Antonio Tarver, boxeur dans la vraie vie). L'issue de la confrontation est évidemment prévisible: Rocky ne peut pas perdre, encore moins mourir.

Sachez seulement qu'il va, comme on dit, en manger toute une, dans une scène de combat sans merci parfois presque psychédélique.

Ici Stallone a l'immense mérite, à l'instar de son personnage, de ne pas trop se prendre la tête, c'est-à-dire qu'il donne un bon show, émouvant, amusant, et qu'il est même capable d'un minimum d'autodérision: oui, on aura droit à la scène d'entraînement, ou le boxeur, plein d'espoir et de bonne volonté fait du jogging dans les rues, mange des ufs crus et s'acharne à deux poings sur des quartiers de viande, accompagné par la musique, pratiquement inchangée, de ce bon vieux Bill Conti.

Acteur devenu cinéaste, Stallone n'est pas East-wood. Mais ce Rocky Balboa, parfois maladroit, mielleux et sirupeux, à la limite risible par moments mais toujours honnête, clôt merveilleusement la série.

Rocky peut désormais prendre sa retraite sans regret, sans remord, sans complexe.

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Rocky Balboa. Drame de Sylvester Stallone. Avec Sylvester Stallone, Burt Young, Geraldine Hugues.

Vieillissant, encore sous le choc du deuil, le boxeur Rocky Balboa ramasse ses dernières énergies pour un ultime duel.

À l'image du premier Rocky de 1976, un vrai bon film populaire, cliché mais sincère.