Fallait-il vraiment adopter une approche aussi glaciale pour transposer la distance émotionnelle du héro de The Good Shepherd? La démarche de Robert De Niro se révèle certes cohérente, mais n'est franchement pas très «payante». À partir d'un sujet fascinant, puisé à même l'histoire qui a mené à la naissance de la CIA, l'acteur cinéaste accouche, avec cette deuxième réalisation, d'un film admirable à plusieurs égards, mais guère empreint de passion.

Portant à l'écran le scénario très complexe d'Eric Roth (Ali, Munich), De Niro propose une production ambitieuse et dense, dont le récit «à tiroirs» effectue plusieurs aller-retour dans différentes époques.

Prenant pour point de convergence la crise des missiles cubains, le film s'attarde principalement au parcours d'Edward Wilson (Matt Damon), un agent de la CIA recruté à l'époque de la Seconde Guerre mondiale. Un chasseur de têtes du FBI (Alec Baldwin) avait alors décelé le potentiel d'Edward le jour où ce dernier n'a pas hésité à dénoncer les «sympathies» nazies qu'entretenait son professeur d'anglais (Michael Gambon).

À travers le parcours d'Edward, on raconte ainsi la naissance de la puissante agence de renseignements américaine, ses origines, la conjoncture politique qui en a défini les paramètres. Or, Edward (vaguement inspiré de James Angleton) reste tellement opaque qu'il devient bien difficile pour le spectateur de s'engager émotivement dans cette histoire.

Les actions du protagoniste, parfois très surprenantes, surgissent de façon inopinée, sans qu'on ne nous donne vraiment accès à son monde intérieur. Dans les circonstances, Matt Damon s'acquitte bien de sa tâche mais on sent quand même que l'acteur lutte un peu contre sa nature pour conserver cet effet de distance.

Même l'aspect plus intime de la vie sentimentale et familiale du personnage, qui prendra une dimension cruciale dans l'histoire, a du mal à convaincre. Il faut d'ailleurs une imagination des plus fertiles pour trouver Angelina Jolie crédible dans le rôle d'une épouse bien sage qui sèche patiemment à la maison pendant six ans pendant que son homme s'occupe de choses importantes de l'autre côté de l'Atlantique. Ce n'est pas que Mme Jolie soit dépourvue de talents dramatiques, mais le personnage public ayant désormais pris le pas sur l'actrice, il est bien difficile de passer outre.

Cela dit, De Niro a réuni une distribution des plus solides, et la direction artistique est de toute première classe. De même, la construction du récit est assez habile pour que, malgré la longueur du film (un peu plus de deux heures et demie), on ne s'ennuie jamais. On sort de la projection de The Good Shepherd avec le sentiment d'avoir vu un très bel objet cinématographique, plus destiné à la tête qu'au coeur.
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THE GOOD SHEPHERD, drame d'espionnage réalisé par Robert De Niro. Avec Matt Damon, Angelina Jolie.

Un jeune homme est appelé à travailler pour la CIA alors que l'agence en est encore à ses premiers balbutiements.

Un film admirable mais guère empreint de passion.