Avertissement : ce film pourrait ne pas convenir à un public trop jeune ou nerveux de nature, impatient ou incapable de fermer son cellulaire. Pour les autres, laissez-vous emporter par la poésie de magnifiques images toutes captées en éclairage naturel.

Le grand silence se compose d'ailleurs principalement de silence. Puis, pas vraiment. Ce film magique de Philip Gröning est un appel aux sens. L'oeil, évidemment, mais l'oreille aussi qui saisira l'oiseau au loin, une planche qui craque, une respiration, des murmures...

Si l'on s'y abandonne, ce long métrage de 160 minutes mènera peu à peu le spectateur à l'introspection. Au départ, une interactivité s'installe : l'esprit, d'abord désorienté, est vite sollicité, puis le coeur, charmé par la sérénité et le calme. En ce lieu éthéré, les ombres de ces hommes voilés captivent.

Le cinéaste éparpille durant le film des portraits en plan serré, sur fond blanc, de chacun d'entre eux. Quelques secondes seulement des regards fuyants des moines qui en viennent, cependant, à laisser entrevoir la plénitude qui les habite. Génial!

Le film surfe admirablement sur les préjugés auxquels fait face un monastère considéré comme l'un des plus austères au monde. L'individualité des moines résiste et se voit dans les cellules très différentes les unes des autres. L'esprit communautaire, aussi, survit aux petits et grands dérangements. Ce n'est pas un monde exempt de violence : le bruit infernal d'appareils électriques ou de la scie sur le bois violent le silence ambiant, ou de sensualité, les troublants contacts avec le barbier ou l'écriteau bien en vue : «Seigneur tu m'as séduit et je me suis laissé séduire par toi. »

Puis, quand ils sortent une fois par semaine pour se perdre dans la nature, les moines sont touchants. Un flot de paroles continu et cacophonique les agite. Il faut voir aussi l'humour de ces hommes redevenus enfants qui se servent de leur soutane comme toboggan sur les pentes enneigées.

Le grand silence est un film exigeant, certes. Malgré le silence, cependant, les images parlent beaucoup. L'oeuvre est cadrée, composée au centimètre près. Le cinéaste crée une véritable pièce d'art visuel. La caméra capte toute la beauté des lieux et de l'environnement alpin. Natures mortes, tableaux abstraits, monochromes, figuratifs, expresionnistes... La palette est large, mais la simplicité omniprésente, en phase avec la vie des ermites.

La seule courte entrevue, avec un vieux moine aveugle, est insérée judicieusement vers la fin. Simple parmi les simples, le philosophe parle du rejet de la spiritualité comme un problème de notre époque, sans prêcher, disant plutôt sa joie d'aller vers la mort et la rencontre avec Dieu. Dans notre vie moderne, urbaine, les moments de méditation et de réflexion sont trop rares pour passer à côté d'un tel film. Voilà une chance unique, au moment propice de l'année, pour plonger en soi et remuer quelques acquis et préjugés. Descendre pour mieux s'élever.

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LE GRAND SILENCE, Documentaire de Philip Gröning.

Perché sur les alpes grenobloises, le monastère de la Grande Charteuse, vit en dehors du temps. Né une première fois il y a près de 1000 ans, ce lieu austère abrite des moines perpétuellement en quête de Dieu.

Poème visuel magnifique traitant du temps qui passe, d'un point de vue métaphysique et spirituel. Fascinant.