Les morts subites choquent, assomment et font éclater en 1000 morceaux un avenir qu'on espérait essentiellement rose. Dans les films comme dans la vie. À voir la maîtrise dont fait preuve l'Argentin Fabian Bielinsky (Neuf reines) quand vient le temps de raconter ses histoires, on se doute bien qu'il a laissé dans le deuil de nombreux cinéphiles et toute une génération de réalisateurs qui auraient pu prendre exemple sur lui.

Car tout juste avant de rendre l'âme à 47 ans, des suites d'un infarctus en juin 2006, Bielinsky a effectivement pondu une oeuvre à la fois déroutante et poignante, violente et douce, pleine de rebondissements et presque poétique. Une oeuvre, semée en milieu urbain puis transplantée en pleine nature, qui déjoue la mécanique des films noirs forcément sombres, maniérés et sertis d'entourloupettes scénaristiques.

El Aura (film présenté en version originale espagnole avec sous-titres français et anglais) a tout de même de quoi plaire aux amoureux du genre. D'abord parce qu'il met en scène un héros solitaire à la profession pas banale (taxidermiste) possédant une mémoire visuelle incroyable et affecté d'un trouble incurable (l'épilepsie). Un héros qui sera toutefois rapidement parachuté dans une forêt idyllique où une partie de chasse tournera mal, mais où, surtout, il pourra enfin matérialiser son rêve le plus fou.

Ezpinosa (admirablement interprété par Ricardo Darin, vedette de Neuf reines) imagine, en effet, depuis toujours le vol de banque parfait. Après avoir tiré par inadvertance sur le propriétaire du camp de chasse où il loge et qui prépare un coup fumant au casino du coin, il s'improvisera petite canaille en assimilant à la va-vite et maladroitement les grandes lignes du brigandage.

Mauvais jugement de la part d'un être plus malheureux que méchant? Il faut jeter le blâme sur la maladie nerveuse du héros, finalement loin d'en être un. Qui prend plus le temps de respirer et d'observer que de passer à l'acte. Pour qui le rêve n'est pas très loin de la réalité et dont la vie peut être mise entre parenthèse, à tout moment, soit à chaque crise.

Voilà le véritable moteur de El Aura. Finement, Bielinsky use d'abord des traits de caractère (et non des intentions) de son taxidermiste pour faire avancer une histoire qui tient toujours la route dans un lieu plus inspirant qu'inquiétant. Le réalisateur expose les faits dans la lenteur, la douceur et sans trop en dire. Devant l'inévitable ou le drame, il nous offre un coeur qui ralentit sa cadence pour qu'on prenne le temps d'analyser et de sombrer avec le héros.

La technique du réalisateur est irréprochable. Elle nous fait aimer le taxidermiste, gober ses intentions malgré tout. Elle protège un homme qui nage dans le rêve et la réalité. Un être solitaire et taciturne qui n'a pas peur d'y laisser sa peau, ce qui est sûrement attribuable à la nature même de sa profession. La taxidermie ne redonne-t-elle pas, en quelque sorte, la vie à ce qui est trépassé ?

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EL AURA, drame de Fabian Bielinsky. Avec Ricardo Darin, Dolores Fonzi, Alejandro Awada, Pablo Cedrón et Nahuel Perez Biscayart

Un taxidermiste épileptique et solitaire a, un jour, l'occasion de perpétrer des vols d'argent qu'il imagine avec minutie depuis toujours.

Une intrigue pleinement maîtrisée.