L'audace dont a fait preuve Yves Desgagnés dans la conception même de cette nouvelle mouture de Roméo et Juliette mérite d'être soulignée. Sans être originale, la volonté de transposer l'histoire des amants de Vérone dans un cadre local et contemporain se défend très bien. Là où le bât blesse, c'est dans l'exécution.

En empruntant une approche réaliste, le cinéaste place son récit en porte à faux et parvient rarement à trouver le ton juste. Dans un contexte de quotidienneté, certaines scènes se révèlent ainsi trop appuyées sur le plan dramatique. Les élans romanesques de certaines autres, qui auraient gagné à viser de plus hauts niveaux de poésie, sont aussi neutralisés par cette option de naturalisme. En ménageant la chèvre et le chou, le film ne parvient jamais à provoquer une émotion tangible, viscérale, vraie.

Cela ne commence pas trop mal pourtant. La scène de la première rencontre, alors que Roméo (Thomas Lalonde) et Juliette (Charlotte Aubin) se «reconnaissent» du regard lors d'un rave, est même fort bien construite. Et mise en scène de façon très efficace.

À vrai dire, les plus belles scènes du film sont celles où les personnages peuvent exprimer l'enjeu du récit par ce qu'ils sont, plutôt que par ce qu'ils disent. On remarquera d'ailleurs et c'est bien qu'il faut attendre près d'une heure avant que Roméo et Juliette ne s'échangent leurs premières paroles. Malheureusement, ceux qui les entourent parlent beaucoup. Sur un ton faussement dramatique qui, de surcroît, vient parfois tout gâcher.

À cet égard, le point de non retour est atteint dans la scène où le père de Juliette, juge à la Cour supérieure, s'engueule avec son fils Étienne, celui qui, dans les faits, évoque le personnage de Tybalt dans la pièce de Shakespeare. Pierre Curzi et Danny Gagné «surjouent» alors comme s'ils évoluaient dans un téléroman bas de gamme. Même avec la meilleure volonté du monde, on ne peut alors plus s'empêcher de relever le caractère trop appuyé de l'illustration. Les dialogues explicatifs, signés Normand Chaurette, n'aident en rien la cause.

Certaines scènes nous font pourtant entrevoir le très joli film qui ne demande qu'à se libérer de ce carcan trop lourd. Le premier rapport sexuel entre les deux jeunes amants, évoqué au cours d'une scène très pudique (de quatre minutes), exprime probablement mieux l'enjeu du drame que toute la mise en place qui a été élaborée jusque-là. La mise à mort de Louki (David Michaël incarne ce personnage de peintre homosexuel qui évoque Mercutio) constitue par ailleurs l'unique moment de véritable lyrisme auquel nous aurons droit.

Le choix d'avoir fait appel à deux parfaits inconnus pour camper les rôles-titres était par ailleurs aussi risqué que justifié. Tant Charlotte Aubin que Thomas Lalonde, aussi beaux l'un que l'autre, apportent avec eux cette pureté juvénile qui magnifie le caractère tragique de la plus célèbre histoire d'amour du répertoire. Hélas ! la responsabilité pesait peut-être un peu trop lourdement sur leurs jeunes épaules. Les deux héros semblent parfois être dirigés de façon approximative.

Cela dit, il y a Jeanne Moreau. Même si le rôle qu'incarne l'actrice de légende semble avoir été artificiellement développé afin de justifier sa présence, il serait bien malvenu d'en tenir ici rigueur aux artisans. L'autorité naturelle de mademoiselle Moreau impose d'emblée une crédibilité aux scènes dans lesquelles elle joue. On comprend mal le pourquoi du comment de la présence au Québec d'une femme dont la fille (la mère de Juliette) est repartie vivre en France, mais nous n'en sommes plus alors à une incohérence près.

Il convient par ailleurs de souligner le beau climat musical dans lequel baigne cette histoire. La partition, signée Catherine Gadouas et Dazmo, comporte de beaux motifs, et les chansons, réalisées par Dazmo pour la plupart, s'insèrent bien dans la dynamique de l'ensemble. Dommage, toutefois, que le film n'ait pas du tout le même souffle.

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ROMÉO ET JULIETTE

Drame romantique réalisé par Yves Desgagnés. Avec Thomas Lalonde, Charlotte Aubin, Jeanne Moreau, Pierre Curzi.

La fille d'un juge de la Cour supérieure du Québec s'éprend du fils d'un dangereux criminel en procès.

Une conception audacieuse dont la réalisation n'est pas accomplie.