Les photographies de Gabor Szilasi présentées dans ce documentaire sont, somme toute, assez récentes. Pourtant il s'en dégage déjà des auras fantomatiques, comme si elles dataient du siècle dernier. De fait, elles datent du siècle dernier, de 1970 précisément, époque à la fois si proche et si lointaine.

Hongrois d'origine, Szilasi a parcouru cette année-là les vieux chemins de Charlevoix, de Saint-Hilarion à Baie-Saint-Paul, en passant par Les Éboulements, Saint-Joseph-de-la-Rive, l'île aux Coudres et autres fabuleux recoins de campagne évidemment transformés depuis, Gabor en a capturé les images pour monter une sorte de «scrapbook».

La documentariste Catherine Martin, avec ces photographies en main, est allée vérifier sur le terrain l'état des lieux, ou plutôt l'esprit des lieux, comme indique le titre de son film.

Patient et contemplatif, L'esprit des lieux est un étrange retour vers le futur qui donne l'impression très forte (qu'on y ait mis les pieds ou non) de connaître Charlevoix et, mieux, de retrouver cette région, comme si on y avait vécu, comme si on était proches de ses gens, comme si ce morceau de pays appartenait à nos souvenirs collectifs.

En cela l'exercice de Catherine Martin est parfaitement réussi. Le film est lent, Martin prend son temps, s'attarde sur ces lieux, ces églises, ces maisons, ces fermes, ces paysages transformés et, surtout, sur la parole des intervenants lesquels, souvent vieillissants, évoquent les souvenirs émus d'une époque plus ou moins révolue.

En bonne documentariste, Martin s'efface, pose des questions simples et claires, ne nous encombre pas de commentaires personnels et évite les discours. L'esprit des lieux nous apprend d'ailleurs peu de choses ni sur le photographe Gabor Szilasi ni sur l'histoire de Charlevoix.

La «leçon» qu'on en retire est racontée par les gens du coin que la cinéaste refuse heureusement de dépeindre avec condescendance et de manière pittoresque comme s'il s'agissait des derniers spécimens d'une «race» en voie d'extinction. Elle laisse le micro à d'autres pour s'occuper de sa caméra avec laquelle elle capte des images pleine de nostalgie, comme autant de photographies. Généreuse, la cinéaste laisse au spectateur la liberté d'interpréter ces images, de leur trouver un sens. L'esprit des lieux ne démontre rien sinon que les temps changent et qu'ils changent vite. C'est déjà beaucoup.
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L'esprit des lieux, documentaire de Catherine Martin

Séjour à Charlevoix où la documentariste, suivant une série de photographies prises en 1970, cherche à savoir et à montrer à quel point la région a changé en 35 ans.

L'esprit des lieux est, en soi, une photographie, un instantané, l'image d'une époque qui s'interroge sur une autre époque. On le reverra dans 35 ans, doublement fasciné.