L'universalité de la douleur. Voilà ce qui ressort essentiellement du remarquable Babel, le nouvel opus du cinéaste mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu. Après Amores Perros (Amours chiennes) et 21 Grammes, ce dernier clôt sa trilogie sur les relations humaines d'éclatante façon. On peut même parler ici d'une sorte d'exploit. Le cinéaste est en effet parvenu à mener de main de maître une histoire campée sur trois continents (tournée dans plusieurs langues), tout en demeurant dans le domaine de l'intime.

Le récit de Babel - très ambitieux - ne pourrait être plus enraciné dans la réalité sociopolitique du monde. Pourtant, Gonzalez Inarritu filme toujours à hauteur d'homme, réussissant à décrire de façon très précise les bouleversements intérieurs des individus face au "nouvel ordre mondial", et à l'instabilité qui en découle.

Fidèle à sa manière, Gonzalez Inarritu, qui porte à l'écran un scénario écrit par son fidèle complice Guillermo Arriaga, aborde de front plusieurs intrigues. Le tout part d'un incident bête au Maroc. Deux jeunes frères habitant un village décident de vérifier la portée d'une arme de chasse que leur père vient de leur offrir. La balle atteint un car de touristes occidentaux, parmi lesquels un couple américain en crise conjugale (Cate Blanchett et Brad Pitt). Pendant ce temps en Californie, la nounou des deux jeunes enfants de couple (formidable Adriana Barraza) ne peut faire autrement que de traîner les gamins avec elle au Mexique afin d'assister au mariage de son fils, ne trouvant personne de disponible pour les garder. À Tokyo, une adolescente rebelle (excellente Rinko Kikuchi), sourde et muette, ne sait trop comment canaliser la révolte qui la submerge, suscitant ainsi l'inquiétude de son père (Koji Yakusho), un homme d'affaires veuf qui, lors d'un récent séjour au Maroc, a offert une arme de chasse à un guide marocain en guise de cadeau...

À travers ces histoires, Inarritu érige sa tour de Babel en tentant de chercher les valeurs communes du genre humain, malgré les différences culturelles. Plus largement, le récit fait écho à la méfiance qu'entretiennent les peuples entre eux, exacerbée depuis que l'Occident est engagé dans sa guerre au terrorisme. À ce chapitre, on ne s'étonnera guère que l'incident marocain prenne une dimension politique, d'autant plus qu'il implique des ressortissants du pays de l'oncle Sam. À travers les déboires de ces personnages, le cinéaste ne se gêne d'ailleurs pas pour illustrer la profonde incompréhension, teintée parfois d'arrogance, qu'entretiennent certains Américains envers les autres peuples qui habitent cette planète. Il se joue aussi de grands drames à la frontière qui sépare le Mexique des États-Unis, lesquels, dans la conjoncture actuelle, prennent ici une dimension vraiment troublante. L'épisode nippon, qui semble d'abord moins bien intégré au récit que les deux autres, se révèle pourtant tout aussi riche.

Inarritu a encore une fois réalisé un film qui se distingue sur le plan narratif, technique, et musical. Le scénario d'Arriaga se révèle astucieux; les images de Rodrigo Prieto sont remarquables; et la partition de Gustavo Santaolalla est envoûtante. On retiendra aussi l'homogénéité de l'ensemble d'une distribution internationale composée de stars et de parfaits inconnus. Tous, pros comme débutants, se maintiennent au plus haut niveau. Nous l'avons écrit souvent depuis la présentation du film au Festival de Cannes, où il a obtenu le prix de la mise en scène, mais répétons-le: Alejandro Gonzalez Inarritu possède décidément l'une des plus belles voix du cinéma contemporain. Et aussi l'une des plus essentielles.

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BABEL

Drame réalisé par Alejandro González Iñárritu. Avec Brad Pitt, Cate Blanchett, Gael Garcia Bernal, Koji Yakusho. 2h24.

Un incident au Maroc a de graves conséquences auprès de différentes familles sur trois continents.

Un film qui se distingue sur le plan narratif, technique et musical. Remarquable.