Un nombril gros comme une planète! Vue de l’espace, la Terre nous apparaît comme le nombril du monde. Au-delà de sa fabuleuse beauté visuelle, le documentaire La Terre vue du ciel possède la faculté de rendre l’homme à la fois fier et inquiet de son nombril bleu. Mais dans la fierté comme dans l’inquiétude, cette hauteur de vue, ce vol au-dessus d’un nid d’humains est le meilleur moyen de nous rendre solidaires de tant de beauté et de fragilité.

La planète Terre est-elle encore vivable? «L’humanité a-t-elle échoué?» se demande le réalisateur Renaud Delourme, par la voix du commentateur  Bernard Giraudeau. Plus qu’un montage des fameuses photographies aériennes de Yann Arthus-Bertrand, c’est un travail de réflexion qu’accomplit Delourme en pointant du zoom les humeurs de notre planète mère, qui se rebiffe devant les mauvais traitements que lui infligent ses enfants ingrats. Entre la publication du livre d’Arthus-Bertrand et la réalisation du film de Delourme, quelques années à peine se sont écoulées, mais l’optique a beaucoup changé, l’Histoire s’est accélérée, la fin inéluctable s’est rapprochée.

Les photos montraient des inondations au Bengladesh, un tremblement de terre en Turquie, le désastre de Tchernobyl, les soubresauts de la faille de San Andreas... Mais depuis Une vérité qui dérange, le documentaire présenté par Al Gore, on regarde d’un autre œil tous ces océans, tous ces déserts, toutes ces traces d’activité humaine.

Phénomène incontrôlable

À l’enchantement se mêle l’appréhension, devant ces sinuosités, ces marbrures, ces magmas, ces épanchements, ces lézardes, ces déchirures, ces taches et ces coulées qui forment un tableau abstrait dont le sens nous échappe. Ce monde est une merveille, certes; mais ce mot peut aussi désigner quelque phénomène incontrôlable, comme nous le rappellent les vers inspirés de Racine, qui entrevoyait des «merveilles sans nombre effrayer les humains» (Athalie).

De là-haut, tout change d’échelle. Quelle réelle importance peut avoir le Colisée de Rome, le Taj Mahal ou le World Trade Center, que l’on aperçoit toujours debout? À quoi sert à l’homme de couvrir la planète s’il vient à perdre la boule? Dans ces images fixes animées par de lents mouvements de caméra et soulignées par des commentaires qui sont autant de bas de vignettes, l’homme apparaît toujours petit, écrasé, perdu. Et pourtant, c’est cet insecte qui menace ces immenses étendues de terre et d’eau, ces troupeaux de bêtes et ces nuées d’oiseaux

À l’art muet de la photographie, Renaud Delourme ajoute des musiques du monde, des airs millénaires et d’éternels chants de prières qui nous font prendre conscience de la vanité de nos ziziques du moment et de nos rocks qui roulent sans amasser mousse.