La censure est, pour les artistes du cinéma, une abomination. Pour les fonctionnaires, un travail. Pour les critiques, un problème. Et pour le vaste public, une mystérieuse entreprise d'épuration, dont il n'est pas toujours conscient, ne visant ni plus ni moins qu'à l'infantiliser. Le difficile boulot des censeurs, comme celui des huissiers, consiste essentiellement à emmerder les gens sans qu'ils sachent trop pourquoi. Les esprits ouverts et éveillés s'insurgent spontanément contre la censure, qu'ils assimilent avec raison à une atteinte à la libre circulation des idées.

Mais qu'en savons-nous exactement, nous qui n'avons pas nécessairement accès facilement aux secrets du «milieu»? Jusqu'à quel point les oeuvres cinématographiques sont-elles ou ont-elles été tronquées par mesure «d'hygiène morale» ? L'excellent (mais trop court) film Les ennemis du cinéma de Karl Parent, qui relève à la fois du documentaire et, d'élégante manière, du pamphlet, fait un peu de lumière sur le monde étrange de l'interdiction bureaucratique.

Parent puise un peu dans l'excellent ouvrage Dictionnaire de la censure au Québec, fascinant livre de référence publié chez FIDES et cosigné par Pierre Hébert, Yves Lever et Kenneth Landry. Yves Lever a collaboré étroitement, avec Marie-Josée Cardinal, à l'écriture du scénario des Ennemis du cinéma. On s'en doute, la censure était autrement plus sévère jadis, avant la Révolution tranquille, dans ce Québec de soutanes.

Les ennemis du cinéma présente une quantité impressionnante d'images de films issues des archives, pour ne pas dire des poubelles: des images autrefois considérées comme immorales et viles. Ces montages d'extraits sont accompagnés des commentaires allumés, parfois hilarants, de gens du cinéma, de l'université ou des médias: les cinéastes Denys Arcand, Fernand Dansereau, Roger Cardinal, la critique Francine Laurendeau, le psychanalyste André Lussier, entre autres intervenants.

Le film laisse le spectateur sur une note bizarre, alors qu'Arcand et d'autres dénoncent vaguement les excès de violence ou de pornographie sur l'Internet, eux qui pourtant ont toujours pourfendu la censure. Mais enfin, la porte est ouverte au débat. Notez que les projections du film, qui sera à l'écran jusqu'au 12 mars au Cinéma du Parc, seront précédées de présentations brèves par des gens qui ont connu les affres de la censure ou qui en connaissent les rouages: Pierre Faladreau, Yves Lever, Charles Bélanger (de la Régie du cinéma), Denis Héroux, Robert Lévesque et quelques autres intéressés.

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Les ennemis du cinéma

Documentaire de Karl Parent. 
52 minutes.