Devant les vraies choses de la vie, et plus encore à l'approche de la mort, nous éprouvons tous les mêmes sentiments, nous nourrissons tous les mêmes pensées. La vie n'est ainsi faite que de Lieux communs, même s'ils paraissent uniques à chacun. Voilà ce que la vieillesse sait et ce que la jeunesse ignore.

«La vie est tellement banale qu'on ne peut la vivre comme une tragédie.» Tel est le constat de Fernando (Federico Luppi), un intellectuel qui a passé son existence le nez dans les bouquins. Mais à l'heure de la retraite, alors que les livres ne le font plus vivre, il jette à sa bibliothèque un regard absent : «Tant de mots pour en arriver à la même confusion!»

Il ne faut pas croire que Lieux communs, le film d'Adolfo Aristarain, soit pessimiste : il est réaliste, tout simplement. Le film commence par une fin, celle de la carrière universitaire de Fernando, que l'on pousse brutalement vers la sortie, à 60 ans. Cet homme épanoui devient soudain songeur. Entouré de l'amour tendre, tranquille et fidèle de sa femme Liliana (Mercedes Sampietro), il commence à se faire du mauvais sang. Son sentiment d'impuissance et d'inutilité, il le passe dans un discours de tête qui n'est rien d'autre que l'écho d'un coeur meurtri. Pour expliquer son désarroi intime, Fernando évoque la déroute politique et économique de l'Argentine, il dénonce le recul du socialisme, il s'indigne de la folie du siècle!

Au crépuscule de la vie, l'homme n'admire plus la beauté des couchers de soleil : il guette l'avance des ombres de la nuit. En cela, Fernando adopte instinctivement l'attitude de tous ceux qui l'ont précédé ou qui le suivront sur le même chemin sans issue. Tous pareils.

Mais les raisonnements philosophiques de Fernando ne trompent pas celle qui le connaît par coeur. Liliana lui rappelle que «nous n'avons pour toute richesse que nos désirs et nos rêves». Alors, le retraité décide soudain d'avoir un projet, comme on achète un remède. Il vend le condo de Buenos Aires et acquiert une ferme pour y cultiver la lavande et en produire un parfum.

Homme lucide

Mais on sent que le coeur n'y est pas. Ou alors, c'est le corps qui ne suit plus. Fernando doute de ses forces : «L'homme lucide peut continuer de vivre en autant qu'il garde l'enthousiasme pour la vie. Mais avec l'âge, cette force peut se perdre...» Toutes ces crises de conscience ne sont peut-être que le fait d'une santé déclinante, tout bêtement...

Verbeux au départ, à l'image de cet homme qui a vécu par les mots, Lieux communs évolue vers un silence parfois apaisant, parfois inquiétant, à mesure que Fernando lâche prise et se referme sur lui-même. Le rythme de plans ralentit en même temps que le sexagénaire voit sa vie s'immobiliser. Comme la sage Liliana, qui trouve que «trop penser peut empêcher de vivre», il faut entendre, au-delà des discours, la plainte muette de l'homme vieillissant. Alors que la première partie du film semble inutilement bavarde, la seconde nous entraîne dans une lente et profonde émotion...

______________________________________________________
* * *
Lieux communs (Lugares comunes) v.o.a. espagnole avec s.-t. français. Genre : drame. Réalisateur : Adolfo Aristarain. Acteurs : Federico Luppi et Mercedes Sampietro. Salles : Cartier. Classement : général. Durée : 1 h 52.

On aime : la seconde partie, de plus en plus émouvante

On n'aime pas : une première partie un peu trop éparpillée