On parle souvent de pauvreté et d’itinérance, mais un aspect de ce problème social est, lui, plus souvent passé sous silence : les femmes sans-abri. Et on imagine encore moins que ce drame ait fait son nid ici même, dans la capitale.

Ça m'indiffère

Dans son documentaire L’errance invisible, la cinéaste Lise Bonenfant l’admet d’emblée : elle-même ignorait que le problème de l’itinérance au féminin existait à Québec. Les femmes sans logis, explique-t-elle, sont plus difficiles à cerner. On ne les voit pas dormir dans les parcs et rarement mendier dans la rue.

Les témoignages exposés dans son film, elle les a cueillis à La grande marelle, le centre d’hébergement pour femmes du YWCA. Et la cueillette n’a pas toujours été facile. Avec L’errance invisible, on entre dans un monde de souffrance, d’humiliation et de pudeur... Un monde de courage, aussi, une fois la lentille appri-voisée par les «vedettes» de ce documentaire.

Elles se livrent d’abord avec bravade ou timidité. Puis, les femmes de La grande marelle s’ouvrent peu à peu à Lise Bonenfant. On y rencontre Caroline, dans la trentaine, qui a croisé Steven Spielberg et Johnny Depp en travaillant sur des plateaux de tournage... Un boulot qu’elle adorait, mais qui l’a précipitée dans l’épuisement. Karine, 20 ans, a fait plusieurs centres d’hébergement avant de se trouver dans une minuscule chambre avec ses deux enfants. On fait un bout de chemin avec Linda, dans la quarantaine, qui ne possède plus qu’un vieux pick-up et dont le franc-parler cache une grande douleur. Marie-Hugues, 60 ans, s’impose comme un personnage silencieux : trop bouleversée pour participer au film, elle offre son témoignage par lettres. Et finalement, on suit Denise, dans la cinquantaine, détruite par un deuil et les abus d’un patron. Ses premiers pas vers l’indépendance retrouvée offrent les moments les plus touchants du film.

Lise Bonenfant nous présente sans jugement et avec tendresse ces femmes de tous les âges et de tous les horizons, mais qui se ressemblent sur un point : leur passé est fait d’abus, de trahisons, de fatigue, de fuite. Si sa réalisation laisse entrevoir quelques maladresses, la cinéaste a su, avec son approche en douceur et en patience, donner une voix sincère et parfois bouleversante à des fem-mes qu’on entend trop rarement.