Le film devait - aurait dû -s'intituler La bella confusione. Ce n'est qu'à la toute fin que Federico Fellini renonça à donner un vrai titre à ce film sur un tournage avorté. Cette chose innommable étant sa huitième ou neuvième réalisation - imprécision caractéristique -, Fellini titra, sans imagination : Huit et demi. Les critiques y virent un autoportrait inspiré d'un cinéaste en panne... d'inspiration. Mais avec un demi-siècle de recul, Huit et demi nous apparaît tel qu'il fut vécu par Fellini : un film en panne de cinéma, un passage à vide dans une vie en perte de sens.

Quand il tourne Huit et demi, en 1962, Fellini vit une sorte de déprime, une crise de la quarantaine. Il porte aussi le poids de la célébrité, depuis La strada (1954) et La dolce vita (1960), Palme d'or à Cannes. On attend de lui un autre chef-d'oeuvre.

Personne ne met en doute que le personnage égotique de Huit et demi, Guido Anselmi (Marcello Mastroi-anni), ne soit le double parfait de Federico : un double un peu trop parfait, avec son physique idéal et son air bon et aimable. Miroir, miroir, dis-moi qui est le plus beau et le plus gentil...

Actrices et maîtresses


Apparemment complexe, Huit et demi se résume en huit mots... ou neuf : je suis un génie et le monde sert à ma gloire. Mais voilà : le génie est fatigué, parce l'homme est épuisé. Jusqu'alors, sa passion des femmes comblait sa vie et faisant croire à son génie : elles étaient ses muses et ses amusements. Encore auréolé de sa renommée et de son autorité (ce chapeau noir qu'il porte sans cesse), Guido est toujours entouré de sa cour féminine d'actrices et de maîtresses; mais cet homme de harem reste inexplicablement à plat.

Tous, du producteur au scénariste en passant par les journalistes, s'attendent à ce que Guido produise d'autres miracles. Mais il est le seul à savoir que ses coups de génie n'étaient que des tours de passe-passe, qu'il bluffe depuis toujours. La construction de cette immense et invraisemblable fusée, pour la scène finale, symbolise bien les attentes irréalistes de tout le monde, y compris lui-même, sur sa performance d'artiste... et de mâle.

Trompant le trac avec sa maîtresse du moment, Carla (Sandra Milo), flirtant innocemment avec la sculpturale et virginale Claudia (Claudia Cardinale), reluquant passivement toutes les actrices, Guido est ramené à sa vraie dimension par Louisa (Anouk Aimée), sa femme patiente et discrète, qui lui est un vivant démenti.

Mal à l'âme


Huit et demi
reflète fidèlement le désarroi et la désorganisation de Fellini lui-même, à l'époque du tournage. Improvisé, bricolé à mesure, le film additionne les scènes dans un beau décousu, masque le manque de vision sous les accessoires et les costumes, multiplie les figurants dans une ronde désordonnée autour de Guido Anselmi, seul et unique lien entre tous ces éléments aléatoires. Mais tout cela n'est pas assez pour combler le manque fondamental : l'âme.

Federico Fellini retiendra la leçon. À partir de ce moment, il mettra encore plus de poudre aux yeux, il se lancera dans une folle surenchère, une surabondance baroque, une débauche proprement «fellinienne» qui feront la grandeur et la décadence des Satyricon (1969), Fellini Roma (1972), Amarcord» (1973), Fellini Casanova (1976) et La voce della luna (1990), qu'il réalisera trois avant sa mort.

Au générique

Cote
: ***

Titre
: Huit et demi (Otto e Mezzo)

Genre : drame

Réalisateur
: Federico Fellini

Acteurs
: Marcello Mastroianni, Anouk Aimée, Claudia Cardinale, Sandra Milo

Classement : général

Durée
: 2h18

On aime
: la mise à nu de Fellini, le jeu dégagé de Marcello Mastroianni, l'accent de vérité d'Anouk Aimée, la belle prestance de Claudia Cardinale

On n'aime pas : la superficialité de l'ensemble