Honni par la critique, snobé par l'intelligentsia, Rush fut peut-être le plus méprisé de tous les groupes de rock. On a dit qu'ils étaient pompeux, prétentieux, trop compliqués pour rien. On a comparé la voix du chanteur Geddy Lee à celle d'un rat mort écrasé par un piège à souris. On a ri de leurs costumes vraiment pas cool et de leur absence totale de sex appeal.

Et pourtant. Quarante-deux ans après sa formation, le plus durable des bands canadiens continue d'attirer les foules. Non seulement a-t-il survécu à toutes les modes et à toutes les insultes, mais sa contribution à l'histoire du rock semble enfin reconnue. Devenu intouchable, Rush a gagné son ticket pour la postérité.
Comment expliquer cette spectaculaire réhabilitation? C'est ce que tentent de comprendre Scott McFadyen et Sam Dunn dans Rush, Beyond the Lighted Stage, qui prend l'affiche pour une semaine au Cinéma du Parc. Déjà bien connus pour leurs films sur le heavy metal, les deux réalisateurs racontent l'histoire de la formation, en s'interrogeant sur son improbable popularité. 

Des débuts incertains

Vrai que Rush avait tout contre lui. D'abord, ils étaient ontariens. Fils d'immigrants. Banlieusards à l'os. Ensuite, ils étaient moches comme des poux et n'avaient aucun sens de l'image. Enfin, leur inclassable mélange de «hard metalloïde» et de rock progressif était totalement anti-commercial. Mais selon Dunn et McFadyen, c'est justement cette fusion unique qui a permis à Rush de rencontrer son public - un public majoritairement masculin, composé de nerds et d'ados boutonneux, qui trouvaient dans ce power trio l'expression de leur propre mal-être et de leur propre marginalité.

Certains de ces fans sont ensuite devenus des vedettes. C'est le cas des musiciens Kirk Hammett (Mettallica), Vinnie Paul (Pantera), Les Claypool (Primus) Sebastian Bach (Skid Row) de l'acteur Jack Black (School of Rock) ou du cartooniste Matt Stone (South Park) qui admettent tous ici l'énorme influence de Rush. Même Gene Simmons, habituellement peu enclin à encenser autre chose que Kiss, reconnaît l'indéniable talent du groupe torontois. 

Et les principaux intéressés? Abondamment interviewés, eux aussi. Le bassiste Geddy Lee et le guitariste Alex Lifeson racontent leur parcours avec une modestie toute canadian, et confirment, si besoin est, que l'histoire de Rush est aussi celle d'une indéfectible amitié datant de la fin des années 1960. Quant au batteur Neil Peart, réputé inaccessible et sauvage, il se montre d'une affable disponibilité, évoquant même la perte de sa fille et de sa femme, un drame qui avait failli sceller la fin du groupe.

Sans surprise, Beyond the Lighted Stage reste foncièrement «gentil». Dunn et McFadyen proposent un film de fans, évacué de toute voix discordante. Mais cette approche totalement assumée a le mérite de nous faire voir le groupe par la lorgnette de la passion. Si Rush vous donne de l'urticaire, voilà peut-être de quoi nourrir une amorce de réconciliation. 

Évidemment, un bon film de rock ne serait pas complet sans son lot d'images d'archives. Et c'est peut-être, enfin, le plus savoureux de ce documentaire somme toute conventionnel, en dépit de son sujet rushant. Il faut voir ces extraits de spectacles des années 70 où le trio, vêtu de bottes à plateformes et de kimonos de mauvais goût, brasse ses cheveux d'un kilomètre de long en déployant son indiscutable musicianship. 

Rien que pour ça, ce long métrage vaut le détour...

__________________________________________
Rush, Beyond the Lighted Stage en supplémentaires au Cinéma du Parc toute la semaine à 19 h.