La transposition au cinéma de l’univers particulier de l’écrivain Hunter S. Thompson relève de l’exercice de haute voltige. Terry Gilliam avait en outre eu bien du mal avec Fear and Loathing in Vegas il y a 13 ans. Bruce Robinson, qui, sous l’insistance de Johnny Depp, effectue un retour derrière la caméra près de 20 ans après avoir abandonné la réalisation, avait l’avantage de s’attaquer à une oeuvre de jeunesse. The Rum Diary (Rhum Express en version française) a en effet été écrit à une époque où le célèbre auteur n’avait pas encore inventé le «journalisme gonzo». Du coup, la narration emprunte ici des allures plus classiques, même si le grain de folie du personnage y est quand même semé.

S’il est loin d’être parfait, il émane néanmoins de ce film un charme très réel, lié sans doute à la grande sincérité des artisans qui l’ont fabriqué. À travers ce film, qu’il coproduit, Johnny Depp a clairement voulu rendre hommage à Hunter S. Thompson, de qui il était un ami intime. Aussi cette époque plus «innocente» où le journaliste commençait sa carrière est-elle dépeinte avec légèreté et sourire en coin.

Le récit relate ainsi le parcours de Paul Kemp, alter ego de Thompson, qui, à la fin des années 50, s’envole vers Porto Rico afin d’aller exercer son métier dans l’un des journaux anglophones de l’endroit. Sa nonchalance proverbiale et son affection pour la bouteille auront tôt fait de lui attirer des ennuis. La première partie du film est ainsi principalement constituée de saynètes dans lesquelles on semble tourner en rond, mais quand même plantées dans un cadre très séduisant. Le récit prend ensuite toutefois plus d’allant à partir du moment où Paul s’oppose au promoteur Sanderson (Aaron Eckhart), un type bien résolu à exploiter ce coin de terre et les gens qui l’habitent. D’autant que la compagne de ce dernier (Amber Heard, beauté sublime dont le personnage aurait quand même pu être mieux développé) en pince maintenant pour Paul…

La réalisation de Bruce Robinson, un cinéaste comptant notamment à son actif le film culte Withnail and I, se permet parfois quelques incartades pour faire écho à la nature d’électron libre de Kemp. Mais ne parlons pas ici d’envolées mémorables. Cela dit, Robinson insère joliment quelques touches d’humour (une fuite en voiture dans une position plutôt équivoque!) et Johnny Depp campe avec son élégance habituelle ce personnage toujours en délicatesse de l’autorité. Depp a d’ailleurs trouvé deux formidables complices en Michael Raspoli et Giovanni Ribisi, tous deux irrésistibles dans les rôles d’acolytes déjantés.

The Rum Diary
Chronique réalisée par Bruce Robinson. Avec Johnny Depp, Michael Rispoli, Aaron Eckhart, Amber Heard. 1h59.