Qu’en est-il de votre conscience sociale? Plus grand-monde n’ose se dire pur et dur, et on se laisse ainsi lentement glisser, non plus vers cet énigmatique centre-gauche mais vers le tiède centre-mou. Or les héros -et ils en sont vraiment- de ces Neiges du Kilimandjaro, fable sociale très librement inspirée d’un récit poétique de Victor Hugo (Les pauvres gens) ont le coeur à gauche, et résolument; cette gauche noble des belles idées et des grands principes. Ce sont des purs et doux.

Michel (ce bon Jean-Pierre Darroussin), après des années de loyaux services au chantier naval dont il est lui-même le délégué syndical, se voit mis à la porte après un critiquable tirage au sort. Par solidarité, il accepte son lot avec philosophie pour retrouver assez vite la paix de l’âme auprès de sa petite famille. Avec sa tendre moitié Marie-Claire (toujours pimpante Ariane Ascaride), Michel se prépare psychologiquement à un voyage tout-à-fait exotique au Kilimandjaro, plus ou moins imposé par ses proches qui ont offert les billets. Mauvaise fortune : deux voleurs masqués déroberont les tickets d’avion et tout l’argent, sous les yeux incrédules du vieux couple,  avant de filer ni vus ni connus.

Encore secoué par cet incident, Michel voudra par lui-même retracer les bandits. On apprendra avec lui que l’un des truands s’avère être un ancien camarade de travail, lui aussi congédié. Michel, par devoir, le dénoncera à la police, mais non sans remord: Le coupable est  un jeune homme pauvre, et s’il vole c’est pour joindre les deux bouts et subvenir aux besoins de ses jeunes frères. Il sera emprisonné, mais Michel trouvera moyen de lui venir en aide, par détour et de manière étonnante.

On trouve sans doute plus sexy qu’un film édifiant sur les heurs et malheurs de la classe ouvrière, mais en justesse de ton et en qualité d’émotion,  Les neiges du Kilimandjaro dépasse de très loin les vocations pédagogiques, vagues ou affirmées, inhérentes à tout drame social.

Le cinéaste et scénariste Robert Guédiguian, qui offre ici une sorte de pendant «tragique» à son propre Marius et Jeannette, propose évidemment ici quelques questions sur le pardon, presque accessoires et heureusement vite expédiées avant d’approfondir les notions d’empathie, de «sens commun», de partage, de conviction et, ultimement, d’une certaine forme de foi, areligieuse, foi en le meilleur chez l’humain.

Le plus extraordinaire, c’est que Guédiguian ne fait pas que poser les questions: il y répond, avec une délicatesse désarmante. Le seul vrai hic, mais il est de taille parce qu’il fait beaucoup de bruit: Le choix musical paraît inapproprié jusqu’à miner certaines scènes qui n’avaient aucun besoin d’être ainsi surlignées.
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Les neiges du Kilimandjaro *** 1/2
Drame de Robert Guédiguian
Avec Jean-Pierre Darroussin, Ariane Ascaride, Gérard Meylan
90 minutes