Il y a près de six mois, j'ai écrit que La graine et le mulet se hissait aisément au sommet de mon palmarès 2008. Au bout de cette année cinéma, le film d'Abdellatif Kechiche se maintient toujours en tête. J'assume ce choix, même si la plus récente offrande du réalisateur de L'esquive est loin, très loin d'avoir fait l'unanimité chez nous.

L'approche sans esbroufe du cinéaste, et sa façon de traquer les instants de vérité en allant jusqu'au bout des scènes qu'il met en place peut en effet parfois aiguiser la patience de certains spectateurs. C'est pourtant dans cette insistance que le cinéma de Kechiche se révèle aussi riche sur le plan humain. À travers le parcours d'un vieil immigrant de la «première génération», l'auteur cinéaste se glisse subrepticement dans notre inconscient collectif. Et dresse un portrait de société d'une justesse incroyable, qui radiographie mieux que ne pourrait le faire n'importe quel discours sur l'état de nos valeurs sociales et humaines.

On remarquera d'ailleurs que plusieurs des films marquants de l'année découlent de démarches artistiques en prise directe sur le réel. Tout est parfait, l'extraordinaire premier long métrage d'Yves-Christian Fournier, est à cet égard l'un des films les plus puissants à avoir jamais été produits au Québec. Le jeune cinéaste, appuyé par l'excellent scénario de Guillaume Vigneault, a abordé la question délicate du suicide sans aucune démagogie, préférant l'évocation plutôt que les faux semblants d'une «fable morale».

Ari Folman, le grand oublié du palmarès de Cannes, a de son côté utilisé le cinéma d'animation pour nommer l'innommable dans Valse avec Bachir. En empruntant la forme d'un journal intime, cet ancien soldat israélien, en poste lors de la première guerre du Liban, propose un portrait impressionniste bouleversant. Nous pourrions en dire autant de Milk, même si Gus Van Sant emprunte cette fois une approche plus classique pour illustrer le parcours d'un militant dont les actions résonnent encore 30 ans plus tard. Et que dire des Témoins, un film dans lequel André Téchiné nous ramène à une époque - pourtant pas si lointaine - où l'apparition du sida a prêté flanc à toutes les intolérances.

On aime le cinéma pour cette faculté de nous confronter à la réalité du monde, mais aussi pour réinventer celle-ci, la sublimer. Cette part du rêve a été assumée cette année par des films comme The Curious Case of Benjamin Button, remarquable fresque de David Fincher, et l'incontournable The Dark Knight, superproduction exemplaire, élaborée par un cinéaste - Christopher Nolan - véritablement inspiré. Il arrive aussi parfois ce fut le cas cette année qu'une petite bulle de bonheur puisse surgir de nulle part, en forme de chansons d'amour...

TOP 10 2008

1 La graine et le mulet d'Abdellatif Kechiche (France)
2 Tout est parfait d'Yves-Christian Fournier (Québec)
3 Valse avec Bachir d'Ari Folman (Israël)
4 Milk de Gus Van Sant (États-Unis)
5 De l'autre côté (Auf Der Anderen Seite) de Fatih Akin (Allemagne)
6 Un conte de Noël d'Arnaud Desplechin (France)
7 The Curious Case of Benjamin Button de David Fincher (États-Unis)
8 Les témoins d'André Téchiné (France)
9 The Dark Knight de Christopher Nolan (États-Unis)
10 Les chansons d'amour de Christophe Honoré (France)