Petit Canadien français a misé gros! Une bonne partie de sa vie, Lucien Rivard a opéré pour le compte des Français et des Américains, en restant dans l'ombre. Avec Le piège américain, les auteurs Fabienne Larouche, Michel Trudeau et le réalisateur Charles Binamé jettent une lumière sur le trafiquant d'armes et d'héroïne québécois qui connaissait un gars... qui connaissait John F. Kennedy et son frère Robert.

La proposition est audacieuse: faire s'entrechoquer sur grand écran les destins de John F. Kennedy, son frère Robert, Fidel Castro, Che Guevara, Jack Ruby... et celui d'un Québécois. Son nom: Lucien Rivard, trafiquant d'armes et d'héroïne, qui a côtoyé dans le vice et le crime Cubains, Américains et Français notamment, il y a un demi-siècle.

Thriller politique, Le piège américain a notamment comme toile de fond la révolution cubaine et les assassinats des frères Kennedy... auquel Rivard pourrait être lié.

Pour sa première oeuvre cinématographique, le tandem Fabienne Larouche-Michel Trudeau n'a pas fait dans le futile. «D'être exigeant n'est pas un défaut, lance Larouche. Le thriller à la Fortier et Un homme mort, c'est proche de nous.»

Lucien Rivard aurait en effet côtoyé Jack Ruby, l'homme qui a tué Lee Harvey Oswald, l'assassin présumé de John F. Kennedy. Du temps où il opérait des casinos à Cuba, Rivard acheminait des sommes importantes d'argent au révolutionnaire Fidel Castro, tout comme au dictateur Fulgencio Batista. Le Canadien français polyglotte qu'il était serait ensuite devenu indispensable à la mafia marseillaise désireuse de se rapprocher des États-Unis.

Ne fouillez pas trop dans votre mémoire! Pour les moins de 50 ans, Lucien Rivard n'évoque rien... sinon, peut-être, un obscur voisin. Et pour ceux qui en ont entendu parler, l'histoire se résume bien souvent aux mots «évasion spectaculaire de Bordeaux».

Ce qui distinguerait Rivard d'autres trafiquants, c'est qu'il a constamment fait patte de velours. Après avoir fait de la prison à Montréal et aux États-Unis, le criminel a aussi vécu dans l'anonymat le plus total à Laval, jusqu'à sa mort à 86 ans, en 2002.

Lucien Rivard est-il donc traité en héros dans Le piège américain? «Pas du tout, répond le réalisateur Charles Binamé. Cela dit, c'était un héros populaire. «i»La Presse»/i» l'a élu Homme de l'année en 1965. C'est un criminel, mais il a été témoin d'une époque. C'est le Maurice Mom Boucher de son temps. Il avait un capital de sympathie. Il cultivait son image publique. C'était un criminel qui faisait des affaires. Il incarnait quelque chose pour les Canadiens français d'alors. La légende urbaine voulait qu'il se soit évadé de prison grâce à un boyau d'arrosage, alors qu'il en est sorti par la porte d'en avant! Les gens ont acheté son image de Batman.»

«Rivard nous a amenés dans quelque chose de plus grand. Il nous parle de l'Amérique, explique Larouche qui a notamment entendu parler du criminel par Claude Blanchard. Dans les années 60, on faisait affaire avec des courtiers comme Rivard pour déstabiliser les pays.»

«Cet homme est passionnant, car il a refusé de subir, d'aller travailler dans une shop à une époque où on était un peuple de résignés, ajoute Trudeau. Il nous a fait entrer dans le monde du crime. Il disait: je prends la place qu'un autre aurait prise.»

Étonnante, cette proposition de rapprocher Rivard à un bras de distance de l'entourage des Kennedy? Larouche et Trudeau ne demandent pas au public d'y croire les yeux fermés, mais d'embarquer dans une histoire. «Le piège américain, c'est une hypothèse, estime le tandem. C'est un assemblage de faits. Mais on ne voulait pas faire comme Oliver Stone et essayer de créer une vérité.»

«Il y a, de toute façon, autant de vérités que de gens, note Charles Binamé. Personne ne sait ce qui s'est vraiment passé. Ce qu'on voit de l'assassinat de John F. Kennedy dans le film est fondé sur l'excellent livre Ultimate Sacrifice de Lamar Waldron. On a ensuite tracé un trait pointillé entre Rivard et les personnages de l'époque. Par ses fréquentations, Rivard est à un degré de plusieurs événements de taille. Sans le savoir, il a été mêlé à des choses plus grandes que lui.»

Girard en Rivard

Avec les traits de Rémy Girard, Rivard a tout pour attirer la sympathie. Celui qui l'incarne n'en demande pas tant des spectateurs et ne s'est pas évertué à lui trouver des qualités avant le tournage. «J'éprouve toutefois une fascination pour Lucien Rivard, avoue-t-il. J'ai toujours été fasciné par le monde criminel. Cet espèce de milieu irréel de vie ou de mort. À mesure que je lisais sur Lucien Rivard, j'ai trouvé étonnant de voir jusqu'où il est allé. Pour moi, il a d'abord été une crapule qui s'est évadée de Bordeaux et qui avait un capital de sympathie énorme. J'ai ensuite vu que c'était un personnage qui avait eu une envergure. C'est difficile de le détester, car il n'était pas violent. Ce n'était pas un tueur.»

Mais de là à le qualifier de héros... «Pour moi, héros a une connotation d'exemple, d'influence positive, de bonté. Je ne prends pas cet homme en pitié. On n'adule pas Lucien dans le film non plus. On le montre comme on pense qu'il était. On a interprété sa vie. On présente en plus le personnage sur son déclin.»

Fabienne Larouge et Michel Trudeau ne se sont effectivement pas attardé à la sobre jeunesse de banlieusard de Lucien Rivard. L'histoire commence alors que le criminel est en prison, à 50 ans, et qu'il souhaite nous raconter une histoire. «Je ne voulais pas qu'on justifie les actions du personnage en le voyant à 5 ans, dit Fabienne Larouche. Le piège américain n'est pas biographique. C'est une histoire fictive dans la tête de Lucien. Il avait une femme, mais on a décidé de ne pas jouer dans le romantisme. J'ai plutôt conçu le film comme un suspense.»

À nous maintenant d'en prendre... et d'en laisser.

Le tableau de Charles Binamé

Le piège américain est une histoire imaginée par Fabienne Larouche et Michel Trudeau, mais un long métrage de Charles Binamé. «Dès le jour un, Fabienne m'a dit: c'est ton film, jure le réalisateur. Fabienne est un pur sang, mais elle respecte beaucoup les créateurs. Elle m'a fait entièrement confiance. Si le film ne marche pas, ce sera de ma faute. Je le signe comme un auteur qui a eu une entière liberté.»

Trois ans après Maurice Richard, Charles Binamé nous revient avec une oeuvre complexe, mais surtout riche visuellement. Une oeuvre à la direction photo étudiée et cousue avec ce que l'Amérique des années 50 et 60 comporte d'archives. Pensez au document granuleux et pastel de l'assassinat de John F. Kennedy de Zapruder, en 1963. Ou encore aux images télévisées en noir et blanc de l'assassinat de Robert Kennedy, en 1968. «J'ai essayé de rendre cette époque du mieux possible, dit Binamé. C'est la raison pour laquelle j'ai recherché des textures, des granulations du temps. Que j'ai refait une commission d'enquête décadrée, avec un son raté, par exemple. Ce sont nos référents visuels et ça donne un tonus émotif.»

Le piège américain est aussi une oeuvre d'atmosphères. Les couleurs riches et caniculaires des scènes qui se déroulent sous un soleil de plomb rappellent notamment le Mexique de Steven Soderbergh dans Traffic. «J'ai proposé un look pour chacun des lieux du film, explique Binamé. Pour l'Indonésie, Cuba, la Louisiane... J'ai aussi voulu que chaque époque soit stylisée.»

«Autant de styles dans un même film peut donner mal au coeur, ajoute le réalisateur. Mais j'ai systématiquement fait en sorte que la forme serve le fond. Ce qu'on voit à l'écran n'est jamais gratuit.»

Devant le produit final, on peine à croire que la production ne disposait que d'un budget de 5,8 millions. Le piège américain, qui met aussi en vedette l'anglo-canadien Colm Feore et le Français Gérard Darmon, a été tourné en Super 8, en 16 mm couleur, 16 mm noir et blanc et 35 mm. Pour que les actions suggérées de Lucien Rivard et son entourage s'imbriquent parfaitement aux documents d'archives qui meublent le film, les acteurs ont dû minutieusement répondre aux commandes de Charles Binamé. «C'est un directeur d'acteur très précis», note Colm Feore.

«Il va toujours chercher le maximum, ajoute Rémy Girard. Chaque prise doit être parfaite. C'est exigeant. Cela dit, Charles est un gars qui a une grande liberté d'expression. D'un film à l'autre, il se renouvelle. Dans Le piège américain, il a fait parler les images.»