Deux clans astiquent leurs armes et s'affrontent silencieusement. C'est sur les bords de l'autoroute 20, entre deux rangs de maïs, que Denis Côté campe le décor de son troisième long métrage, un western ruralo-grotesque: Elle veut le chaos, prix de la mise en scène à Locarno. Rencontre avec les artisans du film, réalisateur en tête.

À l'origine, était une chanson du chanteur de variété Christophe, La Man: «Elle veut tous les soleils couchants/L'or de la chair, l'ivresse, la gloire/La vérité nue, belle à voir/Elle veut tout, elle veut le chaos.» «Je voyais un film, dans cette chanson», dit Denis Côté.

«Je me suis mis à penser à des vengeances féminines, j'imaginais une femme entourée de plein d'hommes. J'ai brodé autour de ça», poursuit le réalisateur. Cette femme sera Coralie (Ève Duranceau), une jeune femme coincée entre un père assommé par la culpabilité (Normand Lévesque) et le clan voisin, constitué de malfrats médiocres (Nicolas Canuel, Réjean Lefrançois et Olivier Aubin).

«Ce personnage, c'est vraiment la chanson, , raconte Ève Duranceau. C'est exactement ce que j'ai ressenti en l'écoutant, j'étais bouleversée. Elle s'est fait voler son enfance, elle veut que tout casse, elle veut une explosion de sa personne.» Sa Coralie est pudique, «anti-bullshit». «Avec Denis, elle n'exprime que le nécessaire», dit la comédienne, repérée grâce à son rôle de Dans les villes, de Catherine Martin.

Le propos semble grave. Ajoutez à cela le noir et blanc, le long silence et quelques thématiques dramatiques (prostitution des filles de l'Est, mort violente, trafic d'organes) et vous obtenez un film... drôle et grotesque. «J'y tenais, à un rapport à l'invraisemblable dans le film. Je trouve ça assez drôle», dit Denis Côté.

Dans la peau du gangster de campagne, Nicolas Canuel offre sans conteste les poses et répliques les plus exagérées du film. «C'est le seul dans le lot qui joue moins distancié, moins mécanique et c'est lui qui assure le côté show-off», croit Denis Côté.

Le plaisir de provocation


Elle veut le chaos ne provoque pas de grands rires, mais joue plutôt sur le même humour absurde que chez Jim Jarmusch ou Aki Kaurismäki. Denis Côté s'étonne que cette dimension échappe parfois aux spectateurs de festivals qui ont vu Elle veut le chaos. «Je ne sais pas pourquoi les gens ne s'abandonnent pas à un certain humour (...) Les gens sont très ancrés avec quelque chose d'hyper réaliste. Je me bats avec ça», dit-il.

«Il n'y a aucun sujet dans ce film: ce n'est qu'un film de cinéma. Il contient ce qui est constitutif du cinéma - image, son, montage mais c'est une bulle de cinéma», estime-t-il. Et le réalisateur de préciser: «J'aurais du mal à faire un film où tout le monde applaudit à tout rompre. Ce serait bon pour mon ego, mais j'ai toujours le plaisir de provocation un peu juvénile.»

Avec Les états nordiques et Nos vies privées, les deux premiers longs du réalisateur, Elle veut le chaos partage l'irruption d'une figure de l'étranger (ici, un ex-taulard français joué par Laurent Lucas et deux jeunes prostituées russes) ainsi que la ruralité. «Je suis quelqu'un de profondément urbain, mais on dirait que la campagne est un territoire actif, où tout est possible. J'arrive pas à m'inspirer de trucs urbains», dit-il.

«Les Européens me parlent de ce côté western. Je me dis, c'est fou comment nous, on banalise les distances, et eux ils y voient un nouveau monde, ils mythifient notre territoire, ils me parlent de Faulkner, de western campagnard.»

Le réalisateur s'amuse de toute évidence à brouiller les pistes sur lesquels le spectateur peut se lancer. Simple souci de provocation, plaide-t-il. «Comment provoquer? Sûrement pas par le sexe, le gore ou l'image. Ce qu'il reste, c'est les propositions narratives: faire des trous, et demander que le spectateur soit actif pour remplir les trous, c'était ça, mon idée de départ», revendique l'inclassable Denis Côté.