Dédé à travers les brumes, le film consacré à André Fortin, ne paraît que dans deux semaines. En attendant sa sortie, les producteurs préparent le terrain en publiant la bande originale du film. Seize chansons marquantes des Colocs interprétées par le comédien Sébastien Ricard - le Batlam de Loco Locass -, l'équipe du réalisateur Éloi Painchaud... et un des Colocs originaux: le guitariste Mike Sawatsky.

On a beau bien connaître les recoins et les détours des chansons des Colocs, on n'arrive pas toujours à départager la réalité de la fiction en écoutant la bande originale de Dédé à travers les brumes. Il y a des moments où les interprétations de Sébastien Ricard (Dédé) sont si justes qu'on se demande si ce n'est pas Dehors novembre qu'on a mis dans le lecteur CD. Carrément.

«Sébastien est vraiment hot, c'est vraiment troublant. Si je n'avais pas autant connu Dédé, je n'aurais pas pu reconnaître la voix», me disait d'ailleurs Mara Tremblay, qui joue du violon sur les enregistrements, il y a quelques semaines. Elle l'a bien connu, Dédé. Elle a été de l'aventure des Colocs pendant deux ans et est demeurée très proche du chanteur jusqu'à ce qu'il s'enlève la vie, en mai 2000. Éloi Painchaud, qui a piloté les relectures, parle pour sa part de «performances vocales à faire danser les morts» dans le livret du disque.

Ce n'est pas un hasard si les producteurs du film ont choisi un acteur capable de chanter: la nécessité de réenregistrer les chansons s'imposait d'elle-même. Impossible d'utiliser les pistes qui se trouvent sur l'un des trois disques studio des Colocs pour raconter la genèse des chansons ou reproduire un segment de spectacle, fait d'ailleurs valoir le réalisateur du disque. «Dès qu'on a la possibilité de faire chanter l'acteur principal, parce que ça marche - c'en est même flabergastant -, il faut se retremper dans les arrangements», ajoute-t-il.

Jamais sans Mike

Du temps qu'il était dans Okoumé, Éloi Painchaud a connu Dédé Fortin. Il était cependant beaucoup plus proche de Mike Sawatsky. «On a eu un band de rhythm'n blues ensemble pendant trois ans, signale-t-il. C'était notre nanane, parallèlement aux Colocs et à Okoumé. Les cuivres des Colocs étaient aussi là-dedans. Ç'a vraiment été un bon chum et quand Dédé est décédé, j'ai essayé de le suivre et de l'aider dans l'épreuve qu'il traversait.»

Vu son lien avec l'ancien guitariste des Colocs, il n'aurait jamais pris les commandes de la musique du film sans obtenir son aval. Ce qu'il a fait. Et si Mike Sawatsky a participé aux relectures, c'est parce que, la veille des premières séances d'enregistrement, le réalisateur a été pris d'une soudaine insécurité. «Je l'ai appelé et je lui ai dit: je ne sais pas ce que je te demande, mais peux-tu? Il m'a répondu: yes sir», raconte Éloi Painchaud.

Le lendemain, les deux étaient en studio avec le noyau de musiciens qui allaient réinventer Les Colocs: le batteur Martin Lavallée, le bassiste Fred Boudreault et le guitariste Jocelyn Tellier. «Tout le monde était super honoré et intrigué de la présence de Mike. Il y avait une espèce de fébrilité en studio et, pour moi, il n'était plus question qu'il parte.»

Différent, mais pareil

Comment a-t-il guidé les relectures? «Ça ne s'est pas passé dans la tête, ça c'est sûr, répond d'emblée le réalisateur. Globalement, les arrangements ont été commandés par le travail de Sébastien Ricard. C'est lui qui nous a inspirés, qui nous a donné l'étincelle. On s'est amusés à rendre les chansons les plus vivantes possible, pas à en faire un tableau figé dans le temps.»

Suivant le précepte du réalisateur du film, Jean-Philippe Duval, qui a déjà dit ne pas vouloir «imiter», mais «traduire l'énergie» de Dédé, ils se sont accordé des libertés. Le chant de Sébastien Ricard ne transmet pas toujours la même urgence que Dédé, mais vise juste dans des moments particulièrement délicats comme Le répondeur.

Le Batlam qui existe en Sébastien Ricard sert fort bien les chansons les plus emportées de Dédé. Sa diction précise se frotte sans mal à Pissiômoins et son énergie de rappeur donne un coup de fouet supplémentaire à Passe-moé la puck. «On sent vraiment le gars de Loco Locass qui pousse dans les côtes et je n'ai aucun problème avec ça», assure Éloi Painchaud.

Curieusement, malgré la présence de Mike Sawatsky, c'est le son des guitares qui diffère le plus des versions originales. «C'est très bizarre parce que c'est très fidèle et, en même temps, c'est très différent», me disait l'acheteur d'une grande chaîne, plus tôt cette semaine. Ce qui est très juste.

«Ce n'est pas un documentaire sur Dédé, dit Éloi Painchaud à propos du film. Et moi, je n'ai pas fait un documentaire musical. Sauf que la lecture de Jean-Philippe Duval, celle de Sébastien Ricard et la mienne concordent.»