Récompenser les effets visuels aux Jutra? L'idée aurait pu faire sourire il y a 10 ans, mais le recours de plus en plus courant aux effets visuels et effets spéciaux dans les films québécois suscite des discussions au sein de l'organisation des Jutra, a appris La Presse.

«On veut rendre justice à l'expertise des entreprises d'effets visuels, explique le délégué général de la soirée des Jutra, Henry Welsh. Pour moi, il y a une esthétique nouvelle qu'il va falloir prendre en compte, c'est certain.»

Que l'on pense au fantastique Babine (2008), au noir Cadavres (2008) ou à Grande Ourse (2009), les films québécois ont de plus en plus recours aux effets visuels et effets spéciaux. L'année 2010 ne fera pas mentir la tendance puisque Le poil de la bête, Commandant Piché: Entre ciel et terre ou Le journal d'Aurélie Laflamme y auront aussi recours.

«C'est sûr que c'est quelque chose à considérer à l'avenir», plaide le producteur du Poil de la bête, Réal Chabot. Pour nous, les effets vont être un élément important du film, on pense que c'est quelque chose à promouvoir.»

Marc Côté de Fake Studios travaille à la fois pour des productions américaines (comme Piranha 3D) et des productions québécoises. «Dans C.R.A.Z.Y., il y a eu sept mois de travail (pour les effets visuels) et une vingtaine d'employés qui se sont investis corps et âme», souligne-t-il.

Plusieurs entreprises d'effets visuels se sont toutefois unies pour réclamer une visibilité aux Jutra: en vain, regrette Benoit Touchette, directeur des opérations de Rodeo FX. «Il y a eu des démarches d'entreprises, et cela n'a mené à rien», dit Benoit Touchette, qui compte, parmi ses projets, Incendies de Denis Villeneuve.

Masse critique de films

Henry Welsh admet que les Jutra souhaitent saluer «la qualité et l'expertise» des créateurs d'effets visuels tout en soulignant que peu de films québécois ont les moyens de se bâtir autour de cette esthétique. «Il faut une masse critique de films pour que les prix disent quelque chose», croit-il.

C'est aussi l'avis de Mathieu Lefebvre, président de Vision Globale, l'une des plus grosses maisons de postproduction. «Cela nous ferait évidemment plaisir d'être en nomination pour un prix Jutra, mais je considère qu'il y a peu d'effets spéciaux pour les films québécois et que les budgets ne sont pas encore là», croit-il.

Selon M. Lefebvre, le cinéma québécois privilégie l'écriture, la réalisation et le jeu des acteurs et, avec la modestie de ses moyens, s'ancre peu dans un registre de grand déploiement. «Notre cinéma n'est pas un cinéma à effets spéciaux même si les effets en font partie, considère-t-il. Parmi les nommés, les films les plus cités cette année ne sont pas les plus commerciaux.»

Un film pourrait toutefois changer la donne: Mars et Avril, de Martin Villeneuve. Produit notamment par Marc Côté, avec un budget d'auteur (à peine plus d'un million de dollars), Mars et Avril est un film «exploratoire», tourné avec des écrans verts, pour traduire le monde imaginé par Martin Villeneuve, et en stéréoscopie (3D).

«On a tourné en 2D, en 3D, on le fait vraiment avec passion et patience», dit Marc Côté. La sortie du film, dans lequel jouent Caroline Dhavernas, Robert Lepage et Jacques Languirand, devrait avoir lieu au cours de l'année 2011.

Les organisateurs des Jutra devraient réfléchir encore à la façon dont les artistes visuels pourront être associés au gala qui récompense l'industrie du cinéma québécois. «C'est un vrai beau problème et on n'a pas encore arrêté notre réflexion», conclut Henry Welsh.