Comment survivre à la mort d'un enfant? Louis Bélanger aborde la question sous un angle masculin en maniant volontairement les ruptures de tons. Du coup, il émane de Route 132 un portrait à la fois intime et social.

 

Depuis le soir de l'ouverture du Festival des films du monde de Montréal, où son film fut chaleureusement accueilli, Louis Bélanger a pu souvent lire ou entendre le même genre de commentaire: avec Route 132, l'auteur cinéaste semblait avoir retrouvé l'inspiration de Gaz Bar Blues. Les deux films ne partagent pourtant pas grand-chose, si ce n'est d'avoir été le résultat d'une démarche éminemment personnelle.

«Au début, j'avoue que ça ne me plaisait pas tellement d'entendre ça, confiait le cinéaste au cours d'une entrevue accordée à La Presse un peu plus tôt cette semaine. En y réfléchissant, je suis bien obligé de reconnaître qu'il y a là-dedans une part de vérité. Après un film adapté d'une pièce de théâtre - Le génie du crime - et un autre adapté d'un roman - The Timekeeper - je reprends mon rôle de cinéaste plutôt que celui de réalisateur.»

On a beau toujours s'investir à fond, comme il l'a fait pour ses deux films précédents, il est certain que le rapport à une oeuvre dont vous êtes à l'origine empruntera forcément un caractère plus intime.

«Ce sont des thématiques qui me tiennent à coeur, explique-t-il. J'éprouve de l'empathie pour mes personnages. Je les aime. Même si je ne suis pas toujours d'accord avec les gestes qu'ils posent, je tiens à les défendre. En plus, le propos est ancré dans une réalité. Le film devient ainsi un miroir de la société dans laquelle je vis. Un peu à la manière de Gaz Bar Blues, qui était carrément inspiré par mes propres souvenirs.»

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Une rencontre marquante

Au départ de Route 132, un désir de travailler avec Alexis Martin. L'acteur bien sûr, mais aussi le dramaturge et scénariste. Les deux hommes s'étaient «manqués» sur Post Mortem, le premier long de Bélanger, où Gabriel Arcand a offert une performance unique. Et maintenant indissociable d'un film auquel Martin, à l'époque pris par Matroni et moi, n'avait finalement pu participer.

«Nous nous sommes rencontrés à cette époque et il était clair que nous avions des atomes crochus, souligne Louis Bélanger. Nous sommes devenus parents pratiquement en même temps. L'idée de Route 132 est née d'une question que nous nous sommes posés autour d'un verre de bière. Comment un homme peut-il dealer avec la mort de son enfant? De là est partie notre réflexion mais Alexis a cette faculté de toujours nous confronter directement à la pertinence des choses dans le processus créatif. Pourquoi ce sujet? Pourquoi en faire un film? Pourquoi ajouter notre voix dans le grand concert? On se remet ainsi toujours en question. J'y voyais un thème porteur qui entraîne plein d'autres thèmes à sa suite. J'y voyais aussi une métaphore du Québec rural.»

La vie un peu vulgaire

Le récit relate le parcours d'un père en déroute (François Papineau) qui, plutôt que d'assister aux funérailles de son garçon de cinq ans, décide de prendre la route avec un ami d'enfance magouilleur, retrouvé par hasard dans un bar de Montréal. Qu'ils braquent un guichet automatique, qu'ils trouvent refuge chez une tante (Andrée Lachapelle), ou qu'ils discutent avec un curé (Gilles Renaud), les deux hommes entreprennent un voyage sans autre destination que celle de chercher un sens à leur vie.

Le thème du deuil et de la quête identitaire a bonne cote ces temps-ci dans le cinéma québécois. Coïncidence bien sûr. D'autant que, affirme Louis Bélanger, les cinéastes affichent quand même une pudeur de bon aloi lorsqu'ils parlent de leurs projets entre eux.

En revanche, les coscénaristes ont convenu très vite de marquer le récit par des ruptures de ton qui amènent un aspect plus léger, voire même parfois burlesque.

«L'unité de ton, ça n'existe pas dans la vie!» déclare Alexis Martin.

«Et la vie est parfois un peu vulgaire! renchérit Louis Bélanger. À un moment, Bob dit à Gilles qu'il comprend que ça ne va pas pour lui mais que la Terre ne s'arrête pas de tourner pour autant. Et c'est vrai que même si on vit une grande tragédie, la vie se chargera toujours de placer sur notre route quelqu'un qui va rire ou qui ne partagera pas du tout notre malheur. Parce qu'il n'est pas dans cette réalité-là. Ces ruptures de ton sont parfaitement assumées depuis le début. Nous les avons voulues, nous en avons beaucoup discuté. Moi ça me rappelle un peu le cinéma italien des années 70, ou celui de l'Europe de l'Est. On retrouvait beaucoup de ruptures dans les films tchèques de Milos Forman à l'époque.»

Route 132 prend l'affiche mercredi 6 octobre.