Après des années de travail, Anaïs Barbeau-Lavalette est prête. Et fébrile. Les rôles sur papier sont devenus personnages. Les derniers lieux de tournage sont en voie d'être identifiés. Au cours des quatre prochains mois, la cinéaste se consacrera entièrement à son film Inch'Allah. Sur Skype, La Presse l'a jointe à Amman, en Jordanie.

Depuis des années, le projet sommeille, mûrit, s'agite, bouillonne en elle. Depuis des années, elle travaille le scénario, se remet en question, réécrit des passages. Cette semaine encore, elle y apportait des ajustements. Avec en prime une excitation bien légitime.

Car, dans quelques semaines, Anaïs Barbeau-Lavalette donnera les premiers coups de manivelle à son long métrage Inch'Allah, sûrement un des projets qui ressemble le plus à cette réalisatrice, documentariste, écrivaine et prolifique touche-à-tout qui cultive depuis des années une relation particulière avec le Moyen-Orient.

Film de fiction, Inch'Allah suivra le parcours de Chloé (Évelyne Brochu), jeune obstétricienne québécoise travaillant dans une clinique médicale à l'intérieur d'un camp de réfugiés palestiniens. Elle noue une grande amitié avec Rand, une de ses patientes, en plus de s'éprendre du frère de cette dernière.

Au-delà des relations entre les trois personnages, le film parle de la guerre, va au-devant de celle-ci. «On voit toujours la guerre un peu de la même façon, c'est-à-dire loin de nous, de manière froide et déconnectée, dit la cinéaste en entrevue. Là, il y a l'idée de rendre ça plus palpable, plus humain et compréhensible.»

De Chloé, Anaïs Barbeau-Lavalette dit que «la guerre va lui rentrer dedans». Pour la réalisatrice, qui a vécu à Ramallah, en Cisjordanie, et a beaucoup voyagé au Moyen-Orient, c'est un peu inévitable quand on vit de façon prolongée dans des pays stigmatisés par de longs conflits.

«J'ai rencontré la guerre, dit la cinéaste qui a entre autres tourné le documentaire Se souvenir des cendres sur le plateau du film Incendies de Denis Villeneuve. Je ne suis pas médecin. Je ne suis pas restée si longtemps dans les camps, mais le film est quand même inspiré de rencontres et d'expériences bouleversantes.»

Il ne s'agit toutefois pas d'une oeuvre autobiographique, enchaîne-t-elle. «C'est transformé. C'est de la fiction. Mais il suffit d'être plongé là-dedans de façon plus prolongée pour cesser de voir les choses de la même façon. Je n'ai jamais trop compris mon attirance profonde, mon rapport amour-haine avec cette région-là, mais on dirait que, sans le savoir, c'était pour en arriver à ce film. C'est un prolongement naturel de ce que j'avais à raconter.»

Moments émouvants

Inch'Allah est produit par micro_scope, compagnie de production de Luc Déry et Kim McCraw, qui a aussi produit Incendies et Se souvenir des cendres. Une partie de l'équipe d'Incendies accompagne d'ailleurs Anaïs Barbeau-Lavalette dans ce périple de quatre mois amorcé cette semaine. Les prochaines semaines seront consacrées à la préproduction (casting, repérages, etc.). Le tournage suivra le 23 octobre pour 37 jours de travail.

Lorsque La Presse lui a parlé cette semaine, la réalisatrice partageait de grands moments d'émotion. «Je suis vraiment excitée. J'ai très hâte, dit-elle. Le projet m'accompagne en profondeur depuis très longtemps. Que ça devienne concret, que des rôles deviennent maintenant des personnages en chair et en os avec le casting est quelque chose de super émouvant. Et de voir tous ces gens qui ont travaillé sur Incendies embarquer dans l'univers que je construis depuis longtemps, se donner à 100% et faire de ce projet le leur, je trouve ça vraiment touchant.»

Le tournage aura lieu en Jordanie, en Israël et en Palestine. Une trentaine de Québécois font partie de l'équipe technique. Outre Évelyne Brochu, Marie-Thérèse Fortin tient un petit rôle dans le film, celui de la mère de Chloé. Les scènes entre mère et fille se passent lorsqu'elles se parlent sur Skype. Des comédiens, figurants et techniciens seront aussi embauchés sur place.

Par le passé, Anaïs Barbeau-Lavalette a filmé dans les bidonvilles du Honduras, en Inde, en Tanzanie, en Palestine, etc. Pour elle, donner une voix aux malheureux de la vie est un moteur, une nécessité.

«Je me sens vivante là où ça écorche, dit-elle. Je sais que ce n'est pas nécessairement facile, mais, en matière de création, je suis nourrie par les êtres les plus abîmés. La force brute qu'ils portent, leur moteur de survie, le feu intérieur qui les brûle fait en sorte qu'ils sont très inspirants.»