Homme de théâtre, Yves Sioui Durand vient de réaliser Mesnak, film qu'il qualifie d'«acte d'art». Art dans le sens d'oeuvre. Et acte dans un sens politique. Car Mesnak, premier long métrage de fiction tourné par un membre des Premières Nations au Québec, est un cri du coeur qui n'épargne personne.

Yves Sioui Durand aimerait bien que les membres des Premières Nations utilisent les outils de la modernité pour se réapproprier leurs racines. Le problème, c'est que l'usage qu'ils font de ces outils risque au contraire de catalyser la dissolution de leur identité.
En d'autres mots, le progrès peut être synonyme de toxicité. Et, dans le cas des autochtones, de décomposition culturelle. Voilà un des thèmes qu'explore le réalisateur à travers les personnages de Mesnak.

Chez les Autochtones, il y a un risque de tomber dans le panneau du progrès, notamment chez les leaders politiques, dit le réalisateur. Dans un contexte de développement et d'intégration économique, il peut survenir un point de non-retour en matière de culture.»

Dire que l'auteur s'inquiète des effets que pourrait avoir le Plan Nord sur la vie autochtone est un euphémisme. Mais les inquiétudes de M. Sioui Durand ont été exprimées bien en amont du projet chéri du premier ministre Jean Charest. Mesnak est en fait un dérivé de la pièce Hamlet-le-Malécite, que Sioui Durand et sa troupe de théâtre Ondinnok ont créée il y a plusieurs années. Cette pièce est un dérivé d'Hamlet, qui, pour reprendre les mots de l'auteur innu, «veut la justice dans un monde de corruption».

Mesnak nous introduit dans le monde très flou de Dave (Victor Andrés Trelles Turgeon), comédien dans la vingtaine vivant en ville au sein d'une famille de Blancs qui l'ont adopté en bas âge. Un jour, après avoir appris d'où il venait, il se rend dans la réserve autochtone où vit Gertrude (Kathia Rock), sa mère biologique. Un retour qui aura pour effet de rouvrir de vieilles blessures. Le tout sur fond de cupidité de certains membres de la nation qui profitent d'un projet à fort potentiel économique.

Plongée en enfer

C'est chez Gertrude que les vieilles blessures se rouvriront avec le plus d'acuité. Depuis 20 ans, elle avait réussi à enterrer un passé douloureux que la venue de Dave fait resurgir.
Gertrude a peur et a honte. Elle a peur que son fils biologique lui demande pourquoi elle l'a laissé en adoption. Son seul moyen de défense est de lui dire qu'elle n'a jamais voulu de lui», raconte Kathia Rock.

Pour cette comédienne et auteure-compositrice-interprète, qu'on verra aussi dans le film Maïna de Michel Poulette, le tournage de cette scène a été un moment difficile, contre nature, à s'arracher le coeur. «C'est la scène qui m'a demandé le plus de concentration», dit-elle.

Pour aller aussi loin dans les émotions, Mme Rock a plongé dans sa propre douleur de mère. «J'ai cinq enfants dont l'un, John Lennon McKenzie, est mort à deux ans et demi d'une grave maladie, dit-elle. C'est chez lui que je suis allée puiser la force et l'émotion nécessaires.»

Né au Pérou et ayant grandi dans plusieurs municipalités du Québec, Victor Andrés Trelles Turgeon voit quant à lui des correspondances entre Dave et lui: beaucoup de questionnements face à l'identité, un sentiment d'appartenance constamment remis en question, le poids du regard de l'autre...

Le rôle de Dave est arrivé à un moment où j'avais aussi ces questionnements, dit le comédien. Je crois qu'il m'a aidé à faire un peu la paix avec ces interrogations sur ma relation avec mon identité québécoise.»

Du tournage, il a aimé cette rencontre avec l'autre. Une bonne partie du film a été tournée à Maliotenam, près de Sept-Îles. «La communauté nous a accueillis et intégrés, dit-il. Par exemple, toute l'équipe du film a été invitée à un mariage. J'ai découvert à quel point ces gens sont taquins. Ils aiment rire.»

La réalité des Autochtones dépeinte dans le film est dure, mais peut-être moins que dans la vraie vie, croit Kathia Rock. Yves Sioui Durand est encore plus tranchant. À ses yeux, beaucoup de problèmes minent les communautés: inceste, drogues, alcool, violence familiale. «Des histoires compliquées qui font des êtres fracturés», dit-il. Ce qui n'empêche pas Mesnak de laisser poindre un peu de lumière.

***

Mesnak prend l'affiche le 17 février.