Quarante ans après ses débuts au cinéma dans Montréal Blues, Gilbert Sicotte décroche sa toute première nomination en carrière aux Jutra grâce au Vendeur de Sébastien Pilote.

Il y a quelques mois, Gilbert Sicotte a obtenu le prix d'interprétation masculine du Festival du film de Bombay (Inde) grâce à sa vibrante composition dans le très beau film de Sébastien Pilote Le vendeur. L'acteur a ainsi pu garnir son palmarès d'un tout premier laurier en carrière pour un rôle au cinéma. Cité trois fois aux Prix Génie canadiens (Cap Tourmente, Les pots cassés, et Continental - un film sans fusil) mais jamais lauréat (les producteurs du Vendeur n'ont pas soumis le film au jury des prix Genie cette année), l'acteur est l'un des favoris pour emporter demain le Jutra du meilleur acteur.

«Il est certain que cette forme de reconnaissance est un peu plus particulière à mes yeux, a précisé l'acteur cette semaine au cours d'une entrevue accordée à La Presse. Le personnage de Marcel Lévesque est arrivé au bon moment dans ma vie et il y occupe une place importante. Dans une carrière, tout se met parfois en place pour qu'une vraie rencontre ait lieu entre un personnage, un acteur, et un réalisateur. Ce fut le cas pour tous les beaux rôles que j'ai joués au cinéma.»

Des personnages marquants
Le premier contact de Gilbert Sicotte avec le cinéma remonte à il y a 40 ans. Trois ans après avoir rejoint le Grand cirque ordinaire (duquel faisait notamment partie Paule Baillargeon, à qui l'on décernera le prix Hommage demain), l'acteur est de l'aventure Montréal Blues, une création collective dont Pascal Gélinas signe la réalisation, d'après une idée originale de Raymond Cloutier.

«Aujourd'hui, j'ai envie d'exercer ce métier pour les mêmes raisons qu'à cette époque, dit Gilbert Sicotte.

Évidemment, les rêves utopiques qu'on peut avoir à 20 ans ne sont plus les mêmes, mais il reste néanmoins ce désir de vivre de l'intérieur la fébrilité d'une expérience artistique. Quand je suis sorti de l'École nationale de théâtre en 1968, j'ai pu découvrir des choses dont je n'aurais pu soupçonner l'existence. Cette époque était déjà très effervescente en elle-même, mais le fait d'avoir choisi l'art dramatique me donnait accès à d'autres milieux, d'autres styles de vie. L'espoir d'une rencontre qui va me surprendre, me déstabiliser, et me faire découvrir de nouvelles choses reste toujours au coeur de ma démarche.»

Le premier personnage marquant qu'a interprété Gilbert Sicotte au cinéma est celui de Louis Pelletier dans les films de Jean-Claude Labrecque Les Vautours (1975) et Les années de rêves (1984). Les deux films faisaient le point sur une même génération, à 10 ans de distance.

«Parfois, on a l'impression de s'approprier un personnage, rappelle l'acteur. Au point où l'on ne fait vraiment plus de différences entre ce qui provient de l'écriture et ce qui émane de soi. C'est le sentiment que j'ai eu avec Louis Pelletier. Mais il n'est pas nécessaire d'avoir le rôle principal dans un film pour qu'une rencontre soit significative. Dans mon esprit, des films comme Ti-cul Tougas (Jean-Guy Noël), Les bons débarras (Francis Mankiewicz), Fantastica et Maria Chapdeleine (Gilles Carle) occupent aussi une place tout aussi particulière.»
Gilbert Sicotte fut aussi le narrateur de Léolo. Cette expérience fut aussi très marquante.

«J'adore travailler la voix et ses textures, fait-il remarquer. Jean-Claude Lauzon cherchait désespérément «sa» voix pour Léolo. Je me rappelle avoir passé pratiquement tout un après-midi avec le monteur Michel Arcand en guise d'essai. Jean-Claude était tellement content de notre travail qu'il a utilisé en grande partie ce que nous avions fait cet après-midi là. Lauzon était un vrai créateur. C'était une chance de le voir inventer, et mettre autant d'exigence dans chaque chose qu'il faisait.»

Une nouvelle génération
La télé s'interpose au milieu des années 80. Jean-Paul Belleau (Des dames de coeur) fera de Gilbert Sicotte une sorte d'icône. D'autres beaux rôles (Bouscotte, Fortier, etc.) le retiennent devant les caméras du petit écran. Des cinéastes de la nouvelle génération rattrapent toutefois l'acteur au milieu des années 2000. Stéphane Lapointe d'abord (La vie secrète des gens heureux); Stépane Lafleur ensuite (Continental, un film sans fusil).  Puis, Sébastien Pilote arrive avec son film Le vendeur, un véritable «cadeau» aux yeux de Gilbert Sicotte.

«Je crois que la différence entre la télé et le cinéma tient au point de vue sur le temps. À la télé, le regard est plus furtif, plus instantané.  Au cinéma, quelque chose de plus large fait en sorte qu'une histoire laisse une trace dans le temps et s'inscrit dans la pérennité. Ça tient au traitement, à la mise en scène, à la lumière aussi. Ce ne sont pas tous les films qui y parviennent bien sûr, mais cette possibilité existe. Dans Le vendeur, chaque plan a fait l'objet d'une longue réflexion, rien n'est là pour rien. Chaque réplique, chaque silence compte. À mes yeux, le cinéma, c'est ça!»