Documentariste respecté, Bruno Boulianne s’est beaucoup intéressé aux sujets forestiers (50 tonnes d’épinettes, Aviature, Le compteur d’oiseaux) au cours de sa carrière. Sa plus récente œuvre, Le chant de la brousse, nous amène à la rencontre de travailleurs africains qui viennent exercer le métier de débroussailleurs dans la forêt québécoise. Présenté en première mondiale à Vues d’Afrique, son film y a remporté un prix.

Quelle est l’origine du film ?

En me rendant en forêt pour Le compteur d’oiseaux, je suis tombé sur un travailleur forestier sri-lankais dont le véhicule était en panne. C’est comme ça que j’ai su que beaucoup d’immigrants travaillaient dans les camps forestiers. J’ai vu qu’il y avait un beau contraste, une bonne histoire d’immigration là-dedans. Au Québec, le travail dit d’éclaircie précommerciale existe depuis environ 25 ans. Au départ, beaucoup d’immigrants d’Europe de l’Est occupaient ces emplois. Mais depuis le début des années 2000, ce sont des Africains qui occupent de 80 à 85 % de ces postes. Nombreux sont ceux qui laissent leur famille derrière eux et viennent travailler ici pour lui envoyer de l’argent.

Mais ce ne sont pas des travailleurs saisonniers.

Non. Contrairement aux Mexicains qui viennent travailler aux champs durant l’été avant de repartir, ces travailleurs sont des immigrants reçus ou sont naturalisés. Certains ont leur famille à Montréal, mais ils préfèrent travailler dans la forêt où le salaire est bien meilleur qu’en usine (les meilleurs gagnent de 25 000 $ à 35 000 $ en moins de six mois de travail). D’autres envoient de l’argent à leur famille restée dans leur pays d’origine.

Votre film donne l’impression d’aborder le rêve américain, mais sans flafla ni paillettes. Qu’en pensez-vous?

C’est vrai, mais, au-delà du rêve américain, il y a un très fort sentiment chez ces travailleurs de participer à quelque chose de plus grand qu’eux. Ils éprouvent une fierté à faire ce travail, à développer la forêt québécoise. En les écoutant, on a l’impression d’entendre les ouvriers québécois qui ont travaillé sur les grands barrages de la Manic dans les années 50.

Pourquoi les Africains occupent-ils la majorité de ces emplois?

Il s’agit d’un emploi très dur physiquement. Les conditions sont difficiles. Avec le temps, le métier de débroussailleur a été perçu comme le dernier recours. Les jeunes d’ici n’y vont plus. La nature ayant horreur du vide, les Africains ont commencé à occuper ces postes. Mais ils ne travaillent pas seulement pour le salaire ; ils veulent s’identifier aux particularités de ce métier. Un des travailleurs du documentaire, Oumar Diallo, a même fondé sa propre entreprise. Il veut apporter du lustre à cet emploi et veut que les Africains y soient identifiés comme les Haïtiens au taxi.

Le chant de la brousse
est présenté dimanche à 21 h et le mercredi 30 mai à 14 h sur Canal D.