Dans son plus récent film d'animation, le créateur de Kirikou aborde dans un contexte de conte de fées un sujet très grave : la violence faite aux femmes et aux petites filles partout dans le monde. De passage à Montréal récemment, Michel Ocelot a répondu à nos questions.

Dilili à Paris raconte le parcours d'une fillette kanake qui, dans le Paris de la Belle Époque, mène sa propre enquête sur des enlèvements mystérieux de fillettes de son âge. Elle découvre à la fois ce qu'il y a de plus beau chez l'humain, mais aussi ce qu'il y a de plus laid. D'où est venue cette idée ?

Tout simplement parce que je me suis rendu compte de ce qu'on faisait aux femmes et aux filles dans le monde depuis toujours. C'est inimaginable. Comme je mets habituellement six ans à faire un film, j'ai écrit cette histoire sans me coller à l'actualité. Il est effroyable de penser qu'au cours des 50 dernières années, plus de femmes ont été tuées de façon « ordinaire » que d'hommes au combat au cours du XXe siècle. Cette tragédie est plus grave que les guerres et je trouve inimaginable qu'on n'en parle pas.

Comment s'y prend-on pour aborder des thèmes aussi graves dans un film d'animation qui, a priori, est destiné à un public d'enfants ?

Je n'ai jamais fait de films pour enfants ! Bien sûr, ils viennent voir mes films et c'est tant mieux. Mais les adultes qui les accompagnent ne se méfient pas et je leur rentre dedans beaucoup plus fort qu'avec un film en prises de vue réelles. L'animation est un langage universel. Je suis ravi qu'il y ait des enfants dans la salle, car ces petites personnes formeront l'humanité dans pas longtemps, mais je fais des films pour tout le monde, en sachant qu'il y aura un jeune public dans la salle. Là, j'avoue être allé à l'extrême limite. La démarche est très sérieuse, même si l'ensemble emprunte la forme d'un conte de fées. 

Vos films les plus connus, Kirikou et la sorcière, Azur et Asmar, Les contes de la nuit, évoquent tous des civilisations étrangères. Dilili à Paris se déroule dans votre pays, au temps de la Belle Époque, où les étrangers - la petite Dilili est issue d'un peuple autochtone de la Nouvelle-Calédonie - étaient vus comme des attractions dans des foires. Pourquoi ce choix ?

J'avais la vague intention de faire un film qui se passe à Paris parce que j'explore toute la planète, et que Paris en fait partie ! J'avais aussi envie d'un joli film en costumes. En faisant de Dilili une petite fille kanake, cela me permettait de faire le pont entre deux civilisations. Et puis, j'ai campé l'intrigue en 1900 parce que j'aime les jolies choses et j'aime faire rêver. Il s'agit aussi de la dernière époque où les femmes occidentales portent encore des robes jusqu'à terre. C'est comme ça qu'on fait rêver. Sarah Bernardt en shorts, ça ne fonctionne plus. Et puis, j'ai découvert une civilisation sensationnelle sous les froufrous. Le film est devenu plus intéressant grâce à ça. Je voulais d'abord faire un film en costumes et c'est devenu un film sur la civilisation occidentale.

Avez-vous le sentiment que le cinéma d'animation vit une période féconde actuellement ?

Par rapport à mes débuts, très certainement. À l'époque où j'ai commencé, il y avait seulement les films de Walt Disney et des dessins animés américains. Depuis Kirikou et la sorcière, on produit plusieurs films d'animation en France, mais rien n'est acquis. Le marché est parfaitement contrôlé par l'Amérique et le public mondial est conditionné à voir leurs films. Cela dit, je n'accepterai jamais l'idée qu'un point de non-retour a été atteint à cet égard. 

Dans votre film, vous traitez de sujets graves qui font écho à des problématiques très actuelles à propos de la condition des femmes dans le monde. Avez-vous le sentiment que nous vivons une époque très troublée ?

De tout temps, les gens disent : « Avant, c'était mieux. » Or, mes parents ont vécu deux guerres. Ils ont connu l'occupation allemande, la honte, la faim. Ce qu'on vit en ce moment est quand même un peu plus confortable. Si on me demandait quels sont l'époque et l'endroit où je voudrais vivre, je choisirais quand même ici et maintenant. Il est vrai que les années 70 étaient peut-être meilleures, car c'était l'époque de la grande libération, sur tous les plans, et il y avait relativement peu de violence. Cela dit, la situation des femmes régresse présentement. Et ça, c'est tragique. J'ai aussi choisi de camper mon intrigue en 1900, car c'est à cette époque que des voix féminines se sont fait entendre pour la première fois. 

Croyez-vous encore en la capacité d'influence du cinéma ?

Absolument ! Le cinéma peut encore changer les mentalités. Tout est contagieux, y compris la notion du bien. Quand on voit un film où tout le monde est généreux, ça donne envie de l'être soi-même ! 

Dilili à Paris prendra l'affiche le 21 décembre.

La Presse photo Robert Skinner ,

Parmi les films les plus connus de Michel Ocelot, notons Kirikou et la sorcière, Azur et Asmar et Les contes de la nuit.