Femme de coeur, militante, indisciplinée, intègre, engagée, féministe, égérie du milieu underground, metteure en scène, actrice et belle folle. Brigitte Poupart est tout cela à la fois. Mais cette fois-ci, c'est un premier rôle au grand écran dont il est question. Une première dans ce qui est déjà une belle carrière.

Philippe Falardeau a déjà fait appel à elle deux fois. Dans Congorama, elle y allait d'une courte participation, mais dans Monsieur Lazhar, la partition qu'a modulée Brigitte Poupart était plus importante. «Un super beau rôle!», dit-elle. On ne s'est pas bousculé à la porte pour autant pour lui proposer des rôles au cinéma ensuite. Il aura fallu attendre que Robin Aubert retienne ses services dans Les affamés, qui lui a valu l'Iris de la meilleure actrice de soutien au Gala Québec Cinéma, pour que sa carrière cinématographique décolle enfin. 

La semaine prochaine, on la verra dans Les salopes ou le sucre naturel de la peau, de Renée Beaulieu (Le garagiste), dans lequel elle tient, pour la première fois au grand écran, le rôle du personnage principal. Dans ce film lancé au festival de Toronto le mois dernier, Brigitte Poupart incarne une chercheuse qui explore les méandres du désir sexuel et amoureux. Très puissante, et aussi très frontale, cette oeuvre suscitera assurément la discussion.

«Après avoir lu le scénario, j'ai dit à Renée [Beaulieu, la réalisatrice] que je trouvais la proposition audacieuse et intéressante, mais qu'il fallait quand même en discuter beaucoup, parce qu'on se compromet à tous les niveaux. La nudité est très présente, mais elle n'est pas seulement physique. Il faut discuter de la manière de filmer et, ultimement, de ce que l'on veut dire à travers cette histoire.»

À bas les stéréotypes

Quand on lui demande pourquoi la sexualité féminine revêt encore un caractère tabou et semble toujours faire peur, même à notre époque, l'actrice met directement ce phénomène en parallèle avec l'objectivation que subit le corps de la femme depuis toujours.

«On a associé le corps de la femme à des choses très précises dans l'imaginaire et on l'a associé à des stéréotypes pour faire jouir les hommes. Il est très difficile de s'en défaire. En sortir devient tout à coup gênant parce qu'on entre alors dans une autre forme d'intimité et les repères ne sont plus les mêmes. Me mettre à nu dans le film de Renée, ç'a été ça: montrer des réactions très intimes qui ne relèvent pas de l'univers pornographique, et qui ne relèvent pas des codes habituels. Les références disparaissent et ça fait peur. La jouissance d'une femme reste un mystère aussi!»

La musique d'abord

Née dans une famille où la musique est très présente, Brigitte Poupart a été initiée à l'art très tôt dans sa vie. Elle se rappelle notamment les dimanches entiers à écouter des vinyles avec son père bassiste. Jazz, blues, Aretha, tout le répertoire de l'époque, avec, à ses côtés, un pédagogue qui était en mesure de lui enseigner tous les rouages. Les parents étant d'ardents cinéphiles, le septième art a aussi occupé une place importante. Même si la volonté d'exercer un métier de nature artistique ne s'est pas manifestée tout de suite, la metteure en scène s'est déclarée très tôt en organisant des spectacles dans le jardin familial.

«J'avais un imaginaire très fertile. J'ai aussi fait beaucoup d'athlétisme. J'avais soif de toucher à plein de choses. Le théâtre est arrivé beaucoup plus tard dans ma vie.»

«J'ai été acceptée en droit à l'université, mais je suis allée passer une audition au Conservatoire au même moment. J'ai été prise aux deux endroits. Ma mère m'a alors dit que la chance d'être acceptée au Conservatoire était unique et que j'aurais bien l'occasion de faire des études en droit plus tard si jamais ça ne marchait pas.»

Place aux femmes

Au moment où Brigitte Poupart est sortie du Conservatoire, en 1990, le milieu culturel, théâtral et télévisuel était saisi d'une morosité certaine. Aussi a-t-elle décidé très vite de fonder Transthéâtre, sa propre compagnie. Et d'offrir aux femmes un espace qu'elles n'avaient pratiquement pas dans un monde d'hommes, mis à part pour des rôles relevant trop souvent du cliché.

«Nous étions alors en plein marasme économique et toujours dans la grisaille postréférendaire, explique-t-elle. Il était très difficile d'exercer son métier. J'ai toujours été féministe et je conçois que le féminisme peut aussi s'exprimer d'une façon différente de la mienne. L'important est de faire avancer la cause des femmes. Cela dit, j'avoue qu'une position comme celle qu'a prise Sophie Lorain à Tout le monde en parle [la comédienne et réalisatrice a déclaré n'avoir "rien à cirer" de la parité], c'est comme dynamiter un pont derrière, une fois qu'on a soi-même réussi à le franchir, et retirer sa solidarité envers les autres qui suivent», estime-t-elle.

«À mes yeux, les quotas constituent un passage obligé. Le jour où on le comprendra, nous n'en aurons plus besoin. Mais si on n'en impose pas, la parité n'arrivera jamais d'elle-même. On n'a pas le choix. Il faut que les réseaux s'ouvrent aux femmes, car si tu n'as pas accès à ces réseaux, on ne t'appellera jamais.»

L'écoute de l'autre

Récemment, elle a participé au tournage de Kuessipan, un film que Myriam Verreault a tourné sur la Côte-Nord avec des Innus. Brigitte Poupart, qui a notamment enseigné à l'École nationale de théâtre dans le cadre d'un programme d'enseignement en interprétation pour les autochtones en 2005, y joue un petit rôle, mais elle a surtout été amenée à coacher les acteurs non professionnels du film. Ne faisant jamais rien à moitié, l'actrice est carrément allée s'installer dans une maison de la réserve Uashat Mak Mani-Utenam, où elle a cohabité avec les trois jeunes protagonistes du film, histoire d'être disponible pour eux à plein temps. Les récentes controverses à propos des spectacles SLĀV et Kanata ne l'ont évidemment pas laissée indifférente.

«Je ne me suis pas affichée parce que je trouvais que le débat s'en allait dans toutes sortes de directions, avec beaucoup trop d'opinions. Le sujet est très délicat et on a fait beaucoup d'amalgames. On ne peut ignorer la parole des gens issus de communautés qui ont été muselées pendant tant d'années. Ces histoires-là, autant quand on parle d'esclavage que de la condition des autochtones, sont encore très près de nous. Surtout, on ne se rend pas compte des privilèges dont on dispose et c'est probablement ça qui me fait le plus mal. 

«On a très mal parlé de la question, parce que nous n'avons jamais mis leur histoire en lumière. On les cite, mais on leur donne rarement la parole. Et on s'étonne ensuite que le presto saute et que ça fasse des dégâts!»

«Dans les années 60 et 70, le peuple québécois a pourtant vécu exactement la même chose. J'espère que le dialogue va pouvoir se faire. Il faut aussi donner aux artistes autochtones - c'est aussi vrai quand on parle de parité pour les femmes - les opportunités nécessaires afin qu'ils aient l'occasion d'apprendre leur métier.»

Une artiste engagée

Revendiquant un statut multidisciplinaire, Brigitte Poupart estime que son défi est de raconter des histoires de la façon la plus authentique possible, peu importe le moyen d'expression. Selon elle, l'engagement peut emprunter plusieurs formes, notamment celle de s'investir totalement dans un projet. Mais il y a aussi, bien sûr, l'engagement social et politique.

«Mes allégeances sont claires et elles se situent à gauche. Elles se traduisent dans mes choix artistiques, dans ma démarche, mais aussi dans mes refus. J'ai écarté beaucoup d'offres, surtout à cause des propos que ces oeuvres mettaient de l'avant, auxquels je ne pouvais souscrire. J'ai souvent eu la curiosité d'aller voir ce que ces projets sont devenus ensuite et, parfois, j'ai été agréablement surprise. Mais je ne regrette rien!»

Elle rêve de tourner un jour avec Xavier Dolan, voue aussi une grande admiration au cinéma d'Alfonso Cuarón et de Nikita Mikhalkov. Les affamés ayant été diffusé un peu partout dans le monde sur la plateforme Netflix, des propositions de l'étranger commencent à se faire entendre. Ce qui n'est certainement pas pour lui déplaire.

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Les salopes ou le sucre naturel de la peau prendra l'affiche le 2 novembre.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Brigitte Poupart a été acceptée en droit à l'université, mais aussi au Conservatoire  d'art dramatique. Elle a suivi les conseils de sa mère et opté pour une formation artistique.