Avec Les Frères Sisters, le cinéaste français Jacques Audiard revisite le genre du western à travers un récit d'apprentissage aux allures de conte: « Le western, c'est un genre-valise, comme on dit des mots-valises. On peut y mettre beaucoup de choses. »

Récompensé par le prix de la mise en scène à la Mostra de Venise, Les Frères Sisters, en salles la semaine prochaine en France, Suisse et au Canada (le 24 octobre en Belgique), est le premier film entièrement tourné en anglais par le cinéaste, avec une distribution de vedettes, notamment les acteurs américains Joaquin Phoenix et Jake Gyllenhaal.

Adaptation du roman éponyme du Canadien Patrick deWitt, le film se déroule dans l'ouest américain en 1851.

C'est l'Américain John C. Reilly, l'un des acteurs du film, et sa femme, productrice Alison Dickey, qui ont proposé ce sujet à Jacques Audiard en 2012.

« Je pense que jamais je n'aurais pensé à faire un western si j'étais tombé sur le livre de deWitt par moi-même », souligne le réalisateur. « J'ai une espèce d'interdit quand on dit western. Mais là, comme ça m'a été proposé par un acteur et une productrice, tout à coup ça pouvait prendre une certaine réalité ».

Jacques Audiard dit « ne pas avoir de connaissance extraordinaire du western classique », et aimer « plutôt le western des années 65-70 », notamment Little Big Man d'Arthur Penn.

« Les paysages ne m'intéressent pas tant que ça. Ce qui m'intéresse, c'est ce que les personnages disent, ce qu'ils voient », ajoute le cinéaste de 66 ans, qui a choisi de tourner son film en Espagne et en Roumanie plutôt qu'aux États-Unis, pour « créer un lieu de fiction ».

Dédié à son frère aîné - décédé en 1975 à l'âge de 26 ans -, Les Frères Sisters raconte l'histoire de deux frères, Charlie (Joaquin Phoenix) et Eli (John C. Reilly) Sisters, tueurs prompts à user de la gâchette. Charlie, le plus jeune, semble né pour tuer tandis qu'Eli, l'aîné, est un sentimental qui rêve d'une vie normale.

« Deux enfants de 45 ans »

Leur chef, le Commodore, les engage pour tuer un homme, le chercheur d'or et chimiste Hermann Kermit Warm (Riz Ahmed), idéaliste qui rêve de créer une société meilleure avec le détective John Morris (Jake Gyllenhaal).

Sur fond de ruée vers l'or, commence alors une poursuite impitoyable, entre Oregon et Californie. Mais il s'agit surtout d'un voyage initiatique, qui mettra à l'épreuve le lien qui unit les deux « Sisters ».

« C'est un récit d'éducation, de formation. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'ils sont très âgés, apparemment constitués alors qu'ils ne le sont pas du tout », indique Jacques Audiard, qui dit avoir vu « un conte » dans le livre de Patrick deWitt.

« S'il y a vraiment pour nous un film de référence, c'était plus un film qui n'est pas un western, La Nuit du chasseur » de Charles Laughton, dans lequel deux enfants « traversent des paysages, et parfois ont peur ». « Là, ce sont deux enfants de 45 ans ». Les deux frères vont s'interroger aussi sur le rapport à leur père, et à travers cela, sur « la violence des pères fondateurs, une constante du western ».

« Ça me rejoint, à travers la question "qu'est-ce qu'on fait de cet héritage violent ?" », ajoute le réalisateur, qui s'est souvent penché sur cette question dans ses films, de De battre mon coeur s'est arrêté à Dheepan.

S'il dit avoir apprécié de tourner avec des acteurs américains, Jacques Audiard souligne cependant ne vouloir « aucunement » se diriger vers une carrière aux États-Unis. Il dit aussi avoir souffert de la lourdeur d'un film d'époque en costumes à gros budget.

Ses envies maintenant ? « Le seul tiroir qui semble s'être ouvert dirait: "un tout petit film de rien du tout" ».