Marie-Josée Croze, qui mène une carrière internationale depuis plusieurs années, trouve dans Iqaluit son premier rôle principal depuis longtemps dans un film québécois. Un rôle qu'elle a accepté malgré son aversion totale pour le froid!

Le principal problème dans la vie de Marie-Josée Croze est la coordination de son horaire. La comédienne, qui peut jouer autant en anglais qu'en français, accepte des projets d'un peu partout qui la branchent. Ça tombe bien pour la promotion d'Iqaluit, puisqu'elle est en tournage à Montréal dans une série américaine d'Amazon, Jack Ryan, dans laquelle elle joue une capitaine de police de la section antiterroriste française. La Presse l'a rencontrée dans un hôtel du Vieux-Montréal où elle loge... avec son chat!

Lorsqu'elle a accepté le rôle de Carmen dans Iqaluit, elle ne se doutait pas qu'elle en serait à son cinquième film de suite au moment du tournage. «C'est un peu épuisant, car les financements arrivent toujours un peu comme un cheveu sur la soupe, dit-elle. Ça m'est arrivé très souvent, ces projets qui traînent et qui, tout à coup, se font tous en même temps.»

Ce rôle dans un film québécois, le premier d'importance depuis un bon bout de temps, elle dit le devoir en partie à Denys Arcand. «J'ai été adoubée par Denys, qui est très ami avec Benoît Pilon. C'était un super beau scénario avec un rôle principal féminin, mais quand j'ai su que ça se passait dans le Grand Nord, j'ai pensé "non, non, pas le froid!"»

Elle a beau être née au Québec, Marie-Josée Croze ne supporte pas les températures sous zéro, assez pour refuser des scénarios dans lesquels on lui demande des scènes de tournage en hiver ou dans l'eau. «Je suis quelqu'un de très frileux, vraiment. J'ai froid très vite. J'ai pourtant beaucoup d'endurance face à la souffrance physique, mais le froid, je tremble de la tête au pied, j'ai des migraines.»

Sauf que cela collait tout à fait au personnage de Carmen. «Benoît, ça l'a beaucoup fait rire, il m'a dit que Carmen haïssait ça aussi! Il était super content de trouver quelqu'un qui ne connaît pas ça, c'est l'état d'esprit du personnage, une citadine qui arrive à Iqaluit mal habillée. Mais j'avais mal calculé le degré de difficulté.»



Avec cette étonnante franchise qui l'a toujours caractérisée, Marie-Josée Croze ne ment pas et ne tient pas un discours sur les beautés du Nord. 

«Je n'ai pas beaucoup apprécié mon expérience à Iqaluit. J'étais submergée par le travail, et le froid est mon ennemi numéro un.» 

«Du Grand Nord, je n'avais que les images d'Épinal, je ne l'avais jamais imaginé sans la neige, poursuit-elle. J'y ai trouvé une désolation, mais il y a des moments où tu te surprends à dire: "Wow, je n'aurais jamais pu imaginer une chose pareille, des paysages à perte de vue, pas un arbre, le ciel, une luminosité particulière..." Moi, je ne pourrais pas y vivre, mais ça, c'est moi. Je me suis concentrée sur le film que j'avais à tourner, nous étions dehors toute la journée, alors c'était exotique pour moi d'être dans ma chambre le soir à regarder un film sur mon ordinateur. Ça me permettait d'avoir chaud aussi!»

C'est la relation avec Benoît Pilon qui lui a vraiment plu, au bout du compte. «J'aime beaucoup Benoît, le regard qu'il porte sur les choses. Il est très humain. Je suis quelqu'un de beaucoup plus dur, d'intransigeant. Il a une forme d'humanité que j'admire beaucoup. Travailler avec lui est agréable, on riait beaucoup, il embarquait toujours avec moi et n'avait pas peur des émotions. C'est quelqu'un d'assez aventurier au niveau du jeu, on peut tout essayer, et j'aime travailler avec des réalisateurs qui n'ont pas peur.»

Villeneuve, un génie

À ce sujet, on la questionne sur le succès aux États-Unis de Denis Villeneuve, l'un des premiers cinéastes avec qui elle a tourné, dans le film Maelstrom. «Je ne suis même pas surprise. C'est justice. Parce que c'est un génie, on le sait. Depuis La course destination monde, on a tous vu que c'était quelqu'un d'à part, qui avait un talent hors du commun. On ne voit même pas jusqu'où il va aller. Denis est capable de tout, c'est quelqu'un d'une grande humilité, avec une force de travail incommensurable. Je suis sûre à 100% qu'il va faire une immense carrière.»

Quant au fait de retrouver un plateau de tournage québécois, cela est devenu selon elle une expérience particulière depuis qu'elle a choisi de faire carrière en France après son prix d'interprétation à Cannes pour Les invasions barbares

Elle constate qu'un fossé s'est creusé entre le public québécois et le cinéma français, ce qui fait qu'au Québec, on n'est pas très au courant de son parcours. «En France, les gens ont l'heure juste sur qui je suis, professionnellement. Ce n'est pas le cas ici, où les gens sont peut-être restés sur l'impression de La FloridaChambres en ville ou Maelstrom. Je sens parfois qu'on s'est arrêté sur mon dernier film, qui peut dater d'il y a 15 ans! Et c'est toujours plus agréable d'être jugée pour ce qu'on est et non pour ce qu'on a été.»

Tout ce qui compte pour la comédienne qui se dit «mondialiste», c'est de bien choisir ses projets, d'où qu'ils viennent. «J'ai toujours reçu des scénarios du Québec, que j'étudie avec la même rigueur que les autres. Je ne serai pas plus sévère ou laxiste. J'ai la même exigence pour un scénario qui vient du Québec qu'un scénario qui vient de la Grèce, de la Pologne ou des États-Unis. Mon seul but est de rencontrer des gens qui ont du talent et qui ont du coeur, aussi. Je n'ai aucun snobisme, je veux juste travailler avec des gens qui n'ont pas peur. Parce qu'on est libre quand on n'a peur de rien.»

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Photo IVANOH DEMERS, LA PRESSE

«Je veux juste travailler avec des gens qui n'ont pas peur. Parce qu'on est libre quand on n'a peur de rien», confie Marie-Josée Croze.

Quelques mots sur les autres acteurs d'Iqaluit

NATAR UNGALAAQ

Comédien, réalisateur, sculpteur, Natar Ungalaaq a été révélé au grand public par le film Atanarjuat en 2001 et par Ce qu'il faut pour vivre de Benoît Pilon, qui retrouve un comédien qu'il adore. Dans Iqaluit, il incarne un père qui a su se reprendre en main, qui protège ses enfants et qui viendra en aide, en quelque sorte, à Carmen. «C'est un acteur qui a un monde intérieur extrêmement fort et profond et une grande pudeur, note le comédien François Papineau. Ce n'est pas un acteur américain, c'est clair!»

«C'est un homme d'une grande sagesse dans la simplicité, décrit Benoît Pilon. Un homme de peu de mots dont le regard parle tellement. J'ai l'impression d'avoir eu un peu accès à l'âme inuite en travaillant avec lui. C'est un grand acteur, un intuitif, qui a développé au fil des ans une grande connaissance du cinéma pour avoir travaillé devant comme derrière la caméra. Il connaît très bien la technique, la lumière, alors qu'il n'a pas été formé dans une école de théâtre. Sa connaissance et son instinct en font un comédien exceptionnel.»

Photo fournie par Les Films Séville

Natar Ungalaaq

FRANÇOIS PAPINEAU

L'acteur a un rôle modeste, mais fondamental dans Iqaluit, qui lui a demandé un peu plus de deux semaines de tournage, ce qui lui a permis de découvrir un endroit qui, visiblement, l'a marqué.

«C'était ma première visite et ça faisait partie de ce qui m'attirait dans le projet, confie-t-il. Je suis curieux de nature et j'avais besoin de temps pour moi, ce qui m'a permis de m'imprégner de l'atmosphère. Je n'ai pas compris le Nord en deux semaines, bien sûr, mais j'ai compris l'attachement que les gens peuvent avoir. Il y a une ambiance de l'ordre du Klondike, mais aussi quelque chose d'extrêmement contemplatif là-bas. Rien qui ne te bloque l'horizon, tu vois à perte de vue. On dirait que ça t'ouvre la conscience sur l'espace et sur ta place dans cet espace. Les Inuits sont des gens extrêmement généreux et pudiques en même temps. Chaleureux, mais avec un respect dans la relation qui s'installe. Ils ont quelque chose d'extrêmement raffiné qu'on perd chez nous parce qu'on est pressés et qu'on se rentre dedans...»

Photo fournie par Les Films Séville

François Papineau